Hauteluce 3

La route est arrêtée par une coulée de neige. Je tourne la voiture dans le sens du retour, nous pour­suiv­ons à pied dans l’herbe, dans la boue, sur une neige arti­fi­cielle molle et dure. Gala désigne en con­tre­bas un gros chalet.
- Donne les clefs, je vais chercher mon livre, on se retrou­ve à la buvette.
Nous con­tin­uons. Au loin, par­fois, un skieur glisse entre deux prés ter­reux. Gala s’éloigne. J’é­val­ue la dis­tance jusqu’à la buvette. Un kilo­mètre? Deux? Le drame. Elle va dis­paraître. Je serai respon­s­able. D’ailleurs, est-ce une buvette? A mesure que nous mon­tons, Aplo s’ex­clame: “c’est beau, c’est vrai­ment beau!” Luv s’oc­cupe des ses bas­kets en toile claire et de ses chevilles nues. Une heure plus tard, nous sommes près du Col de Joly. Nous rebrous­sons chemin. Direc­tion le gros chalet, “la buvette” comme a dit Gala. Sur la ter­rasse de planch­es, chais­es ren­ver­sées sur les tables. La porte est ouverte. La salle de restau­rant est dans le noir. Une voix appelle:
-Par ici Alexan­dre!
Der­rière un rideau de cou­ver­ture, un bar de mon­tagne. Dix employés applaud­is­sent notre entrée. Aplo et Luv sont effrayés. La serveuse, les moni­teurs, le cuisinier, les aides, les saison­niers et le paysan du coin. Ivres et joyeux. Ils par­lent remonte-pentes, Laos, surf, par­lent encore de Lille d’où est orig­i­naire un bon­homme à mous­tache qui pré­cise:
- Exilé fis­cal, j’habite en Bel­gique, pour ne pas pay­er l’ISF!
Ses gens dont nous ne savons rien savent tout de nous. Et Gala par-ci, et Gala par là, des copains de tou­jours. Ils ten­dent des bières, nous félici­tent:
-Alors comme ça, vous étiez per­dus!
Et Gala:
- Je leur ai dit que tu étais un colosse!
Il est vrai; nous venons de marcher une petite heure, sur un chemin, dans le soleil, en bad­i­nant.…
Et le paysan du coin, cramoisi:
- La nature, ça ne par­donne pas.