Mois : avril 2017

Eau

-L’eau main­tenant.
-Six.
-Par per­son­ne?
-Par per­son­ne. Six litres.
-Et pour se déplac­er?
-Se déplac­er? Qui voudra encore se déplac­er? C’est une mal­adie en voie de régression.

Scandinavie

Col­lab­o­ra­tion enchan­tée des médias de com­mande dans le traite­ment apporté à la mise à mort d’oc­ci­den­taux inno­cents dans le cen­tre des villes d’Eu­rope par des musul­mans endi­a­blés. Résul­tat de cette présen­ta­tion noyée entre un match de ten­nis et les départs en week-end, l’événe­ment qui n’est pas nor­mal et ne doit pas l’être, l’as­sas­si­nat fana­tique, le devient. Ain­si, nous avons con­tre nous, soutenu par les Etats, des groupes de con­sti­tu­tion syn­cré­tiques où se mêlent jour­nal­istes décérébrés, vam­pires de haute classe, cap­i­tal­istes vio­lents et coqueluches télévi­suelles qui en toute bon­hom­mie entéri­nent jour après jour le sac­ri­fice du peu­ple aux intérêts de l’ar­gent. Nul doute qu’avec de tels ambas­sadeurs, les illu­minés du nou­veau moyen-âge ne rad­i­calisent leur action.

Mythographie

Quand le pre­mier camion s’en­lisa, les pas­sagers du bus con­cluèrent à une puni­tion divine. Lorsque le bus s’en­lisa, ils se demandèrent ce qu’ils avaient fait pour mérit­er cette nou­velle puni­tion. Puis ils mou­rurent et trou­vèrent la vérité.  L’ “His­toire du bus” est con­nue par qua­tre textes. Le plus récent date de cent-vingt ans après les événe­ments. Il n’ex­iste aucune témoin oculaire. 

Littérature 2

- Quels sont vos auteurs préférés?
- Je vais vous dire quels sont mes textes préférés, répond Pas­cal Quignard.

Car

Car de Chi­nois débar­qué dans la ville. Il est vingt-et-une heures, je suis au super­marché. Ils se hâtent à petits pas à tra­vers les rayons, regar­dent, com­mentent, se con­sul­tent. Que font-ils là? Dans cette ville espag­nole, petite, sans intérêt, loin de tout aéro­port? A les observ­er, on dirait qu’ils ont été télé­portés. De leur cam­pagne de plaines vertes, d’eau rouge et d’usines, directe­ment au milieu du super­marché, ce same­di soir. Je les retrou­ve aux caiss­es. Les dames ont cha­cune acheté un paquet de bis­cuits. Les maris vont der­rière à la façon de gros pigeons rem­plis de fierté: c’est eux qui ont les porte-mon­naie. Puis ils sor­tent dans le vil­lage et marchent à dis­tance des façades comme s’ils craig­naient de touch­er au décor.

Contact

Eton­nante capac­ité de Gala à s’en­tich­er. Des incon­nues, tou­jours. Une serveuse de café, une pas­sante, une vendeuse. Elle sourit, fond, rit, fait fon­dre l’autre. Ce faisant, elle séduit si bien qu’ap­pa­raît chez l’autre une attente sex­uelle qui se traduit par des gestes à la lim­ite de l’indé­cence dans un lieu public.

Drapeau

Régulière­ment, les dirigeants du pays mod­i­fi­aient le dra­peau national.

Couple

Crainte de dire sa pen­sée, le protes­tant se tait; crainte de penser, le catholique parle.

1970

Une navette descend du ciel. Elle se pose dans les champs, devant la muraille de la ville, au milieu des gens. Avec les autres, j’ap­proche. La porte s’ou­vre, les pas­sagers se présen­tent sur la passerelle. Cha­cun d’en­tre nous voit alors défil­er sa réplique, mais avec la coupe de cheveux, le cos­tume et le com­porte­ment des années 1970. Le pas­sager de tête a les rou­fla­que­ttes de Gary Glit­ter.
-Tu imag­ines leur éton­nement quand ils con­stateront que nous sommes aus­si avancés! Me dit mon voisin.
Tout à ma pen­sée, je ne réponds pas. “Com­ment se fait-il, me dis-je, que nous ne soyons pas curieux de savoir qui sont ces gens qui ont quit­té la terre voilà un demi-siè­cle?“
Bien­tôt, les pas­sagers demeurent seuls au milieu des champs, devant la muraille de notre ville. Puis la navette est déman­telée, mis en pièces et rangée dans des caiss­es. Une expo­si­tion a lieu sous tente, sorte de bro­cante dans laque­lle on peut se fournir des morceaux de la navette, mais la vis­ite déçoit: ce ne sont que boulons, vis, pan­neaux, poignées. Un objet retient mon atten­tion et ce n’est pas un hasard s’il est en vit­rine: une ramas­soire en bakélite dans laque­lle sont moulées deux tass­es à café pour express­es. J’es­saie de me représen­ter un cou­ple buvant son café à l’aide de cet usten­sile. Cet objet pub­lic­i­taire, me dit la vendeuse, nous rap­pelle que la société des années 1970 pro­dui­sait quelques incongruités. 

Energie

Plus aucune énergie. Etrange. Comme si un excès d’écri­t­ure m’avait lais­sé exsangue. Un excès de tra­vail sur ces man­u­scrits à ral­longe, devrais-je dire. Car il y a un temps pour ne rien faire. Quand on le croit venu, l’e­sprit se dis­pose à l’ac­cueil­lir. Si, faute d’avoir bien appré­cié la sit­u­a­tion, il ne vient pas, l’e­sprit réag­it en vidant le corps de son énergie.