Mois : février 2017

Mémoire

Il fau­dra se sou­venir que les gens auront été assez bêtes pour croire qu’en sou­tenant les réfugiés ils soute­naient les réfugiés.

Parasingularité

Oppos­er au pro­jet démi­urgique des posthu­man­istes qui con­siste à pro­gram­mer l’au­tocréa­tion de l’hu­main, un homme lié au hasard, inter­prète du monde par les reli­gions mag­iques, les tech­niques d’ac­cli­mata­tion et l’art revient à nier le pro­grès. Or, si cette néga­tion se jus­ti­fie du point de vue de la morale, elle ne peut avoir lieu sans que soit simul­tané­ment nié le pro­grès en tant que valeur fon­da­trice de la moder­nité, soit lit­térale­ment comme vecteur de change­ment. L’ar­gu­ment des posthu­man­istes pour­rait être que la con­damna­tion du change­ment est une forme d’apolo­gie de la mort sociale. Ce qui n’im­plique nulle­ment que le pro­grès expo­nen­tiel de la sci­ence et des tech­niques doive devenir la reli­gion pos­i­tive de l’hu­man­ité et entraîn­er une change­ment de par­a­digme anthro­pologique. Mal­heureuse­ment, les bio­con­ser­va­teurs vont assez vite s’apercevoir qu’ils lut­tent con­tre les ten­ants d’une thèse du dépasse­ment de l’homme à laque­lle la col­lec­tiv­ité à tra­vers les com­porte­ments des indi­vidus qui la com­posent adhère déjà de fait. L’in­scrip­tion revendiquée des recherch­es liées à la con­ver­gence dans une approche cri­tique inspirée des valeurs human­istes appa­raît donc comme une con­tra­dic­tion, car cet homme clas­sique au nom duquel la lutte est menée a pour ain­si dire dis­paru. Avec dans le futur, un effet para­dox­al pour le camp des enne­mis du posthu­man­isme: les indi­vidus les plus let­trés devien­dront vraisem­blable­ment les manuels de demain dès lors qu’ils auront à sur­vivre en dehors du sché­ma d’hyperconnexion.

Beauté

Vieille femme très belle, le corps nulle­ment défor­mé, des yeux purs et verts, de sur­croît habil­lée avec goût et chic. Seul le vis­age est par­chem­iné — un papi­er bible. Étrange con­cen­tré dans ce corps de deux temps.

AVE

Dans Soft Goulag, Yves Velan écrit: “Une ligne d’an­gle mon­tait en car­ré puis tombait droit puis se traçait au sol puis remon­tait en car­ré, en rec­tan­gle; c’é­tait le paysage.”

Retour à la nature

Pour les nou­velles généra­tions, “retour à la nature” veut dire entr­er dans une forêt et vis­iter les ani­maux. Il s’ag­it de quit­ter l’u­ni­forme de la banal­ité sociale, de se sous­traire à l’anesthésie économique et de bris­er la camisole numérique pour entr­er en dis­po­si­tion de soi-même. A l’év­i­dence, le monde à dis­paru et si le temps presse c’est que, bien­tôt, nous l’au­rons oublié.

Odeurs

Est-ce que l’idée d’une mau­vaise odeur donne à croire que l’on sent cette mau­vaise odeur? Toute une par­tie de la nuit, je reni­flais, me sem­ble-t-il, une telle odeur. Or, j’oc­cu­pais une cham­bre du Gran Hotel, l’un des étab­lisse­ments de luxe de Saragosse. Et donc, me dis­ais-je, si ces odeurs étaient réelles, d’autres clients se seraient plaint. D’où cette hypothèse quant à l’ef­fi­cace de l’idée de mau­vaise odeur. Laque­lle, en bon cartésien, ne peut pro­duire que l’idée que je sens la mau­vaise odeur, pas la mau­vaise odeur elle-même… Mais ce matin, à peine sor­ti de la porte-tam­bour du hall de récep­tion, je sens cette odeur dans la rue Joaquin Costes. Il est donc pos­si­ble que je l’ai sen­tie nuita­m­ment: d’abord, j’ai le nez sen­si­ble, ensuite les fenêtres de bois fer­maient mal. Dans ce cas, aurais-je à par­tir de quelques effluves fab­riqué pen­dant le som­meil l’idée de la mau­vaise odeur, celle-ci ampli­fi­ant par voie de con­séquence et sur une foi fan­tas­mée ce que je sentais?

Espagne politicienne

Le par­ti de gauche espag­nol Podemos est dirigé par un demi-jeune a cato­gan à la cour­bu­re d’asperge, un hand­i­capé en chaise à roulettes et un homme nain qui a le corps d’un enfant de douze ans et la tête d’un vieil admin­is­tra­teur. Si l’on épou­sait la logique déli­rante de ces fos­soyeurs de la démoc­ra­tie, il con­viendrait d’at­ta­quer le par­ti pour dis­crim­i­na­tion envers les bien-portant.

Antre

Mangé ce midi  sous vingt pattes de cochons noirs et trois cuves con­tenant cha­cun mille litres de bière de Grenade.

Jusqu’ici…

…tout va bien: je viens de sign­er l’achat de ma qua­trième maison.Il faut espér­er qu’elle me dur­era un peu plus que la précédente.

Buttel-Tuttel

Autour de la table ovale du notaire, prom­e­nade de l’Indépen­dance, dans un vieil immeu­ble à cor­nich­es du cen­tre de Saragosse, les sept pro­prié­taires de la mai­son. La secré­taire réu­nit les cartes d’i­den­tité, véri­fie les statuts, mar­ié, divor­cé, veuf, énonce les parts, récupère les chèques que j’ai obtenu à grand peine après qua­tre jours de fréquen­ta­tion assidue des suc­cur­sales de banque, cha­cun libel­lé avec sa somme et son des­ti­nataire dont cer­tains, en juste héri­tiers du siè­cles d’Is­abelle la Catholique, por­tent des noms si longs que le ban­quier, dés­espéré, me dis­ait en fix­ant son ordi­na­teur: “il ne veut pas, il n’y a pas la place…”. Une bonne heure pour les véri­fi­ca­tions d’usage; à la fin, comme c’est la cou­tume, paraît le notaire, d’au­tant plus con­cen­tré qu’il est petit, d’au­tant plus impor­tant qu’il a le dernier mot. Et là, le drame. L’un des pro­prié­taires, un homme de soix­ante ans accom­pa­g­né de ses fils, deux ado­les­cents bou­ton­neux, fâché, l’air rouge, se dresse: “Alors, c’est comme ça! Tout va bien pour la famille, alors que pour moi et les enfants… parce qu’il ont pris con­gé exprès pour venir dans ce bureau, n’est-ce pas! Ils tra­vail­lent eux! Et voilà le résul­tat, on me tient pour rien! Nous allons… nous sommes, enfin, je veux dire, c’est incroy­able, nous ne sommes pas des Romeo et c’est bien ce que je lis sur ce chèque, ro-me‑o! Il doit être écrit Romero. Et com­ment allons-nous faire main­tenant? Que va-t-il se pass­er? Je vais faire avorter la vente moi! Tout sim­ple­ment! Diego, José, lev­ez-vous, on part!“
L’a­gent immo­bili­er le ras­soit, le notaire le calme, il appelle la secré­taire qui revient avec un verre d’eau, “tenez Mon­sieur…”.
-Romero, avec un “r”, mais si vous ne voulez pas, je m’en vais!
Les autres, qui ont leur chèque en main, s’af­fo­lent. Le cou­ple qui est aide-psy­chi­a­tre pro­pose de pren­dre l’af­faire en mains. Mais Romeo ne veut rien savoir. Il me fixe. Je trou­verais cela comique si je n’avais mil cent kilo­mètres à faire pour ren­tr­er chez moi, c’est dire que je paie un hôtel. Alors je con­state que c’est l’a­gent qui a mal orthographié le nom en me remet­tant la liste des chèquse à faire tir­er. Il se glisse der­rière le notaire, lève les bras au ciel et présente ses excus­es… La sig­na­ture de l’acte de vente est reportée.