Autour de la table ovale du notaire, promenade de l’Indépendance, dans un vieil immeuble à corniches du centre de Saragosse, les sept propriétaires de la maison. La secrétaire réunit les cartes d’identité, vérifie les statuts, marié, divorcé, veuf, énonce les parts, récupère les chèques que j’ai obtenu à grand peine après quatre jours de fréquentation assidue des succursales de banque, chacun libellé avec sa somme et son destinataire dont certains, en juste héritiers du siècles d’Isabelle la Catholique, portent des noms si longs que le banquier, désespéré, me disait en fixant son ordinateur: “il ne veut pas, il n’y a pas la place…”. Une bonne heure pour les vérifications d’usage; à la fin, comme c’est la coutume, paraît le notaire, d’autant plus concentré qu’il est petit, d’autant plus important qu’il a le dernier mot. Et là, le drame. L’un des propriétaires, un homme de soixante ans accompagné de ses fils, deux adolescents boutonneux, fâché, l’air rouge, se dresse: “Alors, c’est comme ça! Tout va bien pour la famille, alors que pour moi et les enfants… parce qu’il ont pris congé exprès pour venir dans ce bureau, n’est-ce pas! Ils travaillent eux! Et voilà le résultat, on me tient pour rien! Nous allons… nous sommes, enfin, je veux dire, c’est incroyable, nous ne sommes pas des Romeo et c’est bien ce que je lis sur ce chèque, ro-me‑o! Il doit être écrit Romero. Et comment allons-nous faire maintenant? Que va-t-il se passer? Je vais faire avorter la vente moi! Tout simplement! Diego, José, levez-vous, on part!“
L’agent immobilier le rassoit, le notaire le calme, il appelle la secrétaire qui revient avec un verre d’eau, “tenez Monsieur…”.
-Romero, avec un “r”, mais si vous ne voulez pas, je m’en vais!
Les autres, qui ont leur chèque en main, s’affolent. Le couple qui est aide-psychiatre propose de prendre l’affaire en mains. Mais Romeo ne veut rien savoir. Il me fixe. Je trouverais cela comique si je n’avais mil cent kilomètres à faire pour rentrer chez moi, c’est dire que je paie un hôtel. Alors je constate que c’est l’agent qui a mal orthographié le nom en me remettant la liste des chèquse à faire tirer. Il se glisse derrière le notaire, lève les bras au ciel et présente ses excuses… La signature de l’acte de vente est reportée.