Pyramide chinoise

Chez le Chi­nois pour acheter un cahi­er. D’habi­tude, j’échange quelques mots avec la ten­an­cière. Elle par­le un bon espag­nol, mais surtout, sa capac­ité de com­préhen­sion tient de la prouesse. Entre une grand-mère qui n’est jamais allée jusqu’à Séville, tri­t­ure un jar­gon que ne renierait pas un gitan, le tout en avalant les voyelles et en économisant les syl­labes. La Chi­noise plonge dans le stock et lui apporte le fil à coudre turquoise en bobine de douze qu’elle demandait. Tou­jours est-il qu’elle et son mari ont racheté il y a peu un sec­ond mag­a­sin, vaste local sur la route côtière. Com­ment ils s’arrangent pour être au moulin et au four, élever leur fils, dormir et manger, je l’ig­nore, mais pour tra­vailler il n’y a pas de doute: ils tra­vail­lent. Et je le dis­ais d’emblée, ils sont avenants, ce qui est rare dans le milieu. Or, aujour­d’hui, je les trou­ve la tête bais­sée, les mains réu­nies sur le ven­tre, tétanisés; elle debout, lui der­rière la caisse. Ils ne me voient pas, ne salu­ent pas, ne remer­cient pas. Ils écoutent le ser­mon inter­minable d’un petit Chi­nois sans cou que l’on imag­ine venu de la cap­i­tale et qui vraisem­blable­ment trans­met les ordres des grands chefs.