Place de la Sallaz, une classe d’école marche derrière le maître. Les enfants vont en rang, ils sont sages, ils discutent. “Moins fort!”, exige l’adulte. L’architecture de ce quartier neuf intimide. Immeubles qui se toisent à distance, tons graves de l’hiver et un monolithe. Peut-être ce parallélépipède avalera-t-il les enfants. Je suis pour voir, mais à la fin il faut me détourner vers la maison de la radio où je trouve, comme la dernière fois, la barbe en sus, André Freudiger, l’archiviste, l’écrivain qui fume et souffle dans le froid. A l’intérieur, je suis reçu par Linn Lévy, aimable, plus qu’aimable. Même enjouement chez l’animateur de l’émission Versus. Fascinant, cette façon de montrer le monde sous un bon jour! Le métier m’eut épouvanté! A l’antenne, Linn présente Constance, dont je parle avec d’autant plus de peine que son enthousiasme communicatif m’a donné à croire que ce serait facile, ce que dément l’épaisseur étudiée des questions. Elles donnent l’envie de parler et amènent à la spéculation. Mais puisque c’est le sujet de ce Guide à l’usage des aveugles qu’est Constance, la circulation se fait tant bien que mal. L’heure écoulée, je retourne sur la place de la Sallaz et fais le tour du monolithe. Drôle de pièce de géométrie! Moi, jamais je ne laisserais un architecte s’occuper de ma chambre: j’aurai peu d’y perdre mon latin. Soudain un taxi passe. Je cherche au sol la raison de ce passage. Je la trouve et ne la trouve pas: la place est une voie autorisée au piéton qui sert encore de route. Pauvres enfants! Heureusement, ils ne savent pas le latin. Puis je descends le quartier des hôpitaux, du présent je remonte dans le passé: de l’émission de radio au Centre autonome des années 1981, en passant par la salle rock de la Dolce Vita, rue Caroline. Mais ce n’est pas le centre que je veux voir — dont le bâtiment d’ailleurs est resté intact à travers la mue, autrefois caserne de pompiers et incubateur de chaos, aujourd’hui soupe populaire — mais l’emplacement de l’ancien Cabaret Orwell, ce premier lieu punk de Lausanne logé dans un dépôt à outils de la colline. Le local a été jeté bas. Contre les moellons qui tiennent les pentes du bois l’on voit encore les chablons sprayés il y a trente ans dont celui du groupe H.L.M.