Sommeil excellent, lisse et continu malgré la perspective de devoir partir seul, avec le chargement, sans papiers. Vieillir offre des avantages. Puis je récupère Gala, tout étonné d’y être parvenu en moins de trois heures. Elle était à l’hôtel. Comment elle a fait pour y traîner en pleine nuit trois valises lourdes comme des sarcophages, elle qui peine à soulever un sac à main, je l’ignore. A Genève, nous chargeons sa quatrième valise. Est-ce que je vois encore à travers le pare-brise arrière? Difficilement. Peu importe, nous connaissons la route. Gala conduit pour sortir de Genève. Passage de frontière à Vallard. Énumération des lieux familiers: les hôtels où nous passions nos nuits d’amants, les promenades sur le Salève, le squat de Florissant, les rencontres philosophiques à Conches, chez le propriétaire du village. Puis l’autoroute pour franchir cette campagne de l’Ain pour moi odieuse depuis que l’on m’a chassé de ma maison de Lhôpital. Enfin, en soirée, Avignon banlieue, puis le pont sur le Rhône, Les Angles sur sa colline pleine de nuit où je me fourvoie et jure quand surgit, par hasard, le panneau qui indique l’hôtel des Cèdres, cette maison de maître au milieu des pins parasols. Le propriétaire vient à notre rencontre:
- Je savais que c’était vous!
L’homme est petit, chaleureux, ébouriffé et bon commerçant. Il y a six ans, après une course-poursuite dans les bas de Villeneuve (Gala refusait de partager une chambre), nous avons abouti ici et sympathisé avec Christophe. Ce que j’oubliais, c’est que nous avions parlé littérature et qu’après mon départ, je lui avais envoyé mon livre. Il nous installe dans une chambre de la demeure principale avec parquet de bois et parois safranées et nous descendons au restaurant. Gala instruit alors le procès de la nuit précédente tandis qu’une jeune serveuse accorte nous sert une fricassée de ceps, du foie gras, des crustacés, une blanquette de veau et un Vacqueyras.