Mois : septembre 2016

easyJet

Enreg­istrement à la radio suisse romande, un direct d’une demi-heure dans l’émis­sion Tribu. easy­Jet, encore. Au demeu­rant, un ani­ma­teur bien sym­pa­thique. Ces gens-là ont le chic de vous faire croire qu’il s’in­téressent à vous. Après des années, je m’y laisse encore pren­dre. Et pour les répons­es, elles sont à la mesure des ques­tions: bien rodées. C’est l’in­con­vénient de la répéti­tion des cour­tes séquences d’in­ter­views sur un même sujet, on sait d’emblée ce qu’on va dire. Imag­ine-t-on le méti­er du politi­cien? Cette logique de moulin à parole. Et pour­tant, aux aus­si on le tal­ent de vous faire croire qu’ils s’in­téressent à vous… Bref, je par­le de mon livre. Non, en fait, je ne par­le pas de mon livre. J’énonce quelques phras­es qui pour­raient don­ner envie aux audi­teurs de lire le livre. D’ailleurs ce que je préfère, c’est le ton de rup­ture. Georges Hal­das écoutant par exem­ple une longue ques­tion du jour­nal­iste de France-Cul­ture pour répon­dre après avoir ménagé un silence: “je ne sais pas”. Mais il est vrai que cela peut tourn­er à la pose.

KM

Dimanche, sept heures le matin. J’ai chargé la voiture la veille. Des cadres d’af­fichage, mes affaire de Krav-Maga, le vélo, ma valise d’Es­pagne, une palette de bière, des livres. Je tourne la clef de con­tact, la BMW s’al­lume comme un sapin de Noël et s’éteint. Mamère se réveille. Elle a la gen­til­lesse de me prêter sa veille Toy­ota. Ain­si, une voiture qui n’a jamais un raté, une voiture alle­mande de 1700 kilos qui me va comme un gant lâche parce qu’une équipe de pro­fes­sion­nels de l’E­tat y fourre les pattes! C’est dire mon énerve­ment. J’en étran­glerais un sur la capot avec femme, enfants, chiens et chats. Et bien enten­du, dans cet état, je manque ma sor­tie d’au­toroute. Où je m’at­tendais à lire Clarens, je ne lis que Mon­treux (sans com­pren­dre que Mon­treux c’est aus­si Clarens) et je file en direc­tion du Valais. Demi-tour à Vil­leneuve. Il ne fait pas bon chang­er sans cesse de scène: tout cela va trop vite, je suis encore sur mon toit, en Andalousie, dans mon essai, au soleil, sur les quais… cinq min­utes avant le début du stage, il me faut pass­er les grandes chaus­settes, la coquille, les genouil­lères, lac­er les chaus­sures de boxe, rem­plir le bidon. Mon car­net de mem­bre? Oublié en Espagne. les gants de boxe? J’ai pas. Lorsque je fais irrup­tion dans la salle, les com­bats com­men­cent. Mon parte­naire a un physique de mastodonte. “Douce­ment”, lui dis-je. Il m’en­voie un pied à la fig­ure. L’in­struc­teur de police qui organ­ise le stage passe à ma hau­teur:
- Oh, la, la, il est crispé lui!

Etat suisse 2

Nous louons à la Ville de Lau­sanne des vit­rines d’ex­po­si­tion situées dans les pas­sages souter­rains. Celles de la Place Chaud­eron se trou­vent à quelques mètres des bureaux qu’oc­cu­pent les fonc­tion­naires du Ser­vice de l’as­sainisse­ment (en lan­gage ver­nac­u­laire, net­toy­age). Entre nos vit­rines gar­nies d’af­fich­es et les bureaux des fonc­tion­naires, des bro­chettes d’Africains traî­nent le pieds, jurent, cri­ent, crachent et vendent de la drogue. A l’oc­ca­sion, ils bal­an­cent un coup de pied dans l’une de nos vit­rines et la brisent. Coût la pre­mière fois, deux mille francs. soit sept cent francs de retenue sur mon salaire. Et la sec­onde. Cette semaine, l’un de ces éner­gumènes d’im­por­ta­tion remet ça. Que dis­ent les fonc­tion­naires? Il dis­ent. “nous n’y pou­vons rien!” Et servi­ables sug­gèrent: “vous pou­vez tou­jours porter plainte.” Notre gérant porte plainte. Que dit la police? Elle dit: “que voulez-vous que nous fas­sions?” Et quand, fort à pro­pos, le gérant con­seille de con­sul­ter les ban­des des caméras vidéos qui fil­ment les vendeurs de drogue:
- Nous n’avons pas le droit.

Etat suisse 3

L’E­tat de Fri­bourg m’en­voie une fac­ture inti­t­ulée “non-pom­pi­er”. Je me ren­seigne. “Vous con­tribuez, m’ap­prend-t-on, au sou­tien du ser­vice des pom­piers puisque vous n’y par­ticipez pas.” Je fais val­oir que nul ne m’a pro­posé d’y par­ticiper, mais que j’y par­ticiperai volon­tiers. “Ce n’est pas à vous de décider si vous y par­ticipez, m’ap­prend-t-on, c’est pourquoi vous êtes non-pompier.” 

Etat suisse 1

Avant d’at­ter­rir en Suisse, j’ap­pelle le garag­iste. Depuis l’été et Munich, je n’ai pas repris la BMW.
- Impec­ca­ble, me dit-il.
Cepen­dant, il con­seille de chang­er les pla­que­ttes avant de pass­er la vis­ite. J’ac­cepte le coût à con­di­tion qu’il trou­ve la solu­tion pour étein­dre le témoin lumineux de la taille d’une pièce de vingt cen­times qui s’é­claire au démar­rage. Celui-ci indique que les freins doivent être révisés. Il y a deux ans, ils l’avaient été et, à cause de ce témoin, les fonc­tion­naires de Fri­bourg avaient refusé l’ex­a­m­en. Me voici donc en train, puis à pied: je rejoins le garage d’Oron. La voiture est là, prête à démar­rer. Je mets le con­tact, le témoin s’é­claire. Le garag­iste écoute mes doléances. Il min­imise. Sur mon insis­tance, il rédi­ge une let­tre. Je prends la route. J’aboutis à Genève, au Bout-du-Monde. A l’heure du repas, les bureaux sont fer­més. Un guicheti­er me ren­voie au per­son­nel de la halle tech­nique. Là, on me sig­nale que je me trompe d’heure. Il est midi, le ren­dez-vous est pour qua­torze heures. La cafétéria est en sous-sol. Je m’in­stalle avec un plateau de cous­cous: le cuisinier est français comme sont français le per­son­nel, les fonc­tion­naires et Genève. A la table voi­sine, une homme sans épaules sous sa tunique bleue de mécani­cien de l’E­tat. Mine courte, vis­age délavé, une sorte d’ho­mo­sex­uel sans parte­naire. De retour en sur­face, je con­sulte ma mon­tre: une heure à tuer. Je fais quelques pas sur les berges de l’Arve, cet endroit que j’ai con­nu à dif­férentes épo­ques: la semaine de mon arrivée à Genève, en 1986, lorsque l’écrivain O. T. m’a invité à un pique-nique organ­isé par sa classe des Beaux-Arts, en 1991 lorsque je venais courir à Vessy, en 1998 lorsque je fai­sais par­tie de l’équipe de Triathlon de Carouge. Aujour­d’hui, un vaste chantier occupe le parc, les foreuses achèvent le perce­ment du tun­nel du futur métro qui reliera cette affreuse ban­lieue d’Ane­masse (où je vivais en 1987) aux Eaux-Vives. Je lis sur un banc. Je lis Mounier, avec peine. Devant moi, 12 con­tain­ers super­posés. Blancs et munis d’échelles, on y loge sem­ble-t-il des ouvri­ers por­tu­gais importés pour les travaux. Le soleil brille. Dans mon dos, de l’autre côté de l’Arve, ce sen­tier où nous allions promen­er avec Gala quand les enfants étaient petits; ce même sen­tier où a été tué B.N, le pro­fesseur d’eth­nolo­gie à bar­bi­chette et mon­o­cle. Puis je regagne la halle tech­nique et j’a­vance la BMW. Un fonc­tion­naire me prend la clef des mains; l’ho­mo­sex­uel délavé de la can­tine. Il s’assied dans la voiture, dis­paraît en elle. Mais non, la voici qui démarre. Il la propulse sur la rampe. N’im­porte quel pro­prié­taire tourn­erait de l’œil devant un tel mas­sacre. Hélas, légal. On m’or­donne d’aller atten­dre dans la salle d’at­tente. Il ne faut pas gên­er les opéra­tions. Là, une pop­u­la­tion représen­ta­tive de Genève, peu de blancs; si, un cou­ple de vieil­lards et un autre vieil­lard. A en juger par la gouaille, ce dernier est céli­bataire. Il racon­te au cou­ple com­ment l’E­tat français lui a volé sa mai­son de Dou­vaine à coups d’im­pôts et jure qu’en Suisse l’af­faire est mal engagée. Mon fonc­tion­naire sans épaules revient:
- Ce témoin qui s’al­lume?
Avec un sourire volon­taire, je lui tends la let­tre du garag­iste.
- Oui, mais je ne peux pas laiss­er pass­er.
- Vous avez vu les freins?
- Ils sont par­faits, mais le témoin dit le con­traire.
Ven­tre devant, il ren­tre dans la halle, par­lemente avec un chef. Puis trans­mets le ver­dict.
- Il fau­dra repass­er la visite.

Bipartisme

Le bipar­tisme, cette car­i­ca­ture de la représen­ta­tion poli­tique, n’est peut-être que le dou­ble hon­teux de la réduc­tion de notre lib­erté dans le choix de con­som­ma­tion: inca­pables de pro­jec­tion, nous dis­solvons notre spon­tanéité créa­trice dans l’al­ter­nance pen­du­laire des valeurs.

Post-hégélianisme

J’ap­pelle, dit Mounier, la “marche irré­sistible de l’his­toire”, un mythe paresseux.

Campagnes

Mer­veilleuses églis­es qui font son­ner les cam­pagnes sans faire trem­bler les âmes.

Calaferte

Calaferte répé­tant au long de son aven­ture spir­ituelle: si j’ai deux cent lecteurs aver­tis, je suis justifié.

Livre

Il y a vingt ans, qui eut annon­cé que le télé­phone détrôn­erait la lec­ture, aurait passé pour un fou. La fait accom­pli, la pos­si­bil­ité d’un tel événe­ment demeure incom­préhen­si­ble tant est improb­a­ble la rela­tion qu’en­tre­ti­en­nent le télé­phone et le livre.