Mois : juillet 2016

Mendiants

En début d’après-midi, sans man­quer un jour, ce jeune clochard à demi-gitan installe son vélo sur lequel est mon­té un haut par­leur relié à une radio et sonorise la porte du super­marché. En mars, deux fois de suite, j’en­tends un morceau de Bob Mar­ley: pas d’obole pour cette musique d’id­iots. Mais je me trompe, il règle au hasard, sur un pro­gramme musi­cal: c’é­tait donc une coïn­ci­dence. Nous  sym­pa­thisons. Il me mon­tre un moteur récupéré sur un skate élec­trique, par­le de l’in­staller sur son vélo. “Venir de la ville, ça en fait des kilo­mètres!” Je min­imise. Il ignore que je cou­vre la même dis­tance pour me ren­dre près du parc de l’Ouest, un total de 75 kilo­mètres par semaine. Pourquoi mendie-t-il vient aus­si loin de chez lui; après tout, chaque quarti­er a son super­marché. Peut-être fait-il croire à ses par­ents qu’il tra­vaille?
Puis lun­di, appa­raît un autre clochard. Ser­ré dans un cos­tume gris, la face rouge, il porte des lunettes pop, baisse la tête avec timid­ité. Main­tenant qu’ils sont deux à mendi­er, cha­cun rivalise de gen­til­lesse pour garder ses clients, esquis­sant des sourires, lev­ant une main ami­cale, se pré­cip­i­tant pour aider à porter un cabas ou pour garder le caniche de ses dames. A en juger par les cas­quettes ren­ver­sées au sol, cela paie, même si quelques cen­taines de grammes de mitraille addi­tion­nées ne doivent pas faire plus de deux ou trois euros. Quoiqu’il en soit, cela prou­ve que per­son­ne n’est indemne du milieu dans lequel il vit. Pour preuve ce men­di­ant de Ghara­puri, l’île aux éléphants ancrée face du port de Bom­bay. Il y vingt ans je quitte l’hô­tel Taj Mahal avec d’autres touristes (celui où se sont déroulées les attaques ter­ror­istes de 2008). Un quart d’heure plus tard, je suis devant l’en­trée de la grotte qui motive la vis­ite de l’île. Un men­di­ant est assis au sol. Sur le mou­choir de tis­su plié à ses pieds, une seule piécette. Il ne bouge pas, ne tend pas la main, ne sourit pas, ne gémit pas. Il se tient dans le soleil, les yeux fer­més. Je me place sur le côté et l’ob­serve. Il finit par lever le regard. Il va ten­dre la main, me dis-je.
- Vous ne recevez rien?
- Non, rien.
- Et si vous demandiez?
- Et alors?
- Ces touristes vous don­neraient de l’ar­gent.
- Cela ne chang­erai rien. Je ne reçois rien parce qu’il est écrit que je ne dois rien recevoir.
- Mais alors pourquoi rester là?
- Parce qu’un jour, ça chang­era.
- Ah.
- Oui.
- Pourquoi?
- Je ne peux pas savoir, mais je sais quand. Dans cent ou deux cent ans. 

Punks

Ne pou­vant se pro­duire sur une scène qui n’ex­iste pas, les punks qui en 1977 hurlaient “no future!” ont disparu.

Magie

N’est-ce pas mag­ique? Je tape Alexan­dre Friederich sur Ama­zon et je vois que mon prochain livre, qui n’ex­iste pas, peut être commandé.

T.O.

Le réal­isme des opin­ions, le seul qui con­tribue à la con­struc­tion de la réal­ité, passe par le tra­vail. D’où l’emprise gran­dis­sante des fan­tasmes en poli­tique. Si le tra­vail oblig­a­toire rap­pelle les temps de guerre ain­si qu’un devise sin­istre instru­ment factuel du régime nazi, ne nous inter­dis­ons pas de penser que le tra­vail oblig­a­toire est le meilleur ecosys­tème de l’opin­ion. Les veuves pleureuses auront beau jeu d’at­tir­er les regards sur l’artiste (j’en suis), de l’autre côté de l’éven­tail social, cela per­me­t­trait de faire goûter au tra­vail des déboîtés tels que François Hol­lande, Angela Merkel, Daniel Cohn-Ben­dit ou Jean-Claude Juncker.

Amérique raciale

Que l’Amérique se divise sur ses lignes de frac­tures sociales et raciales con­firme l’ef­fon­drement ter­mi­nal d’un pro­jet impéri­al­iste qui con­sis­tait pour impos­er le cap­i­tal­isme à tra­vers le monde à réduire les indi­vidus à une masse molécu­laire régie par la physique des économistes.

Futur 2

Qu’est-ce qui rendrait la vie plus amu­sante, ou du moins plus vivante et ferait de ce petit tout que nous sommes, un lieu des ent­hou­si­asmes? Sans hési­ta­tion: moins de société. Nous sommes inca­pables de sen­tir à quel point nous sommes devenus des êtres soci­aux — rien que cela.

Futur

Sans les arti­fices du quo­ti­di­en, notre vie serait-elle rétré­cie? Aux deman­dants blo­qués à la périphérie de notre monde, on fait accroire qu’elle serait agrandie s’ils avaient main sur par­tie du butin. Mais nous autres, cri­tiques de ce mode de vie et se gaus­sant de l’être parce que, dans le for, nous le croyons inal­ién­able, sommes nous vrai­ment capa­bles de revenir aux fon­da­men­taux et des les situer dans un espace des valeurs?

Folie

Qu’est-ce que la folie? La folie, c’est quand tout fait métaphore.

Chenit littéraire

Après la sieste, je me mets en devoir de réfléchir à la notion de coupure his­torique telle que je pré­tends la dévelop­per dans l’es­sai. Voy­ant aus­sitôt que le temps va man­quer pour tra­vailler un chapitre entier, je prends le par­ti de résumer les lignes direc­tri­ces de l’ar­gu­men­ta­tion. Mais voilà, je prends des notes depuis dix ans, elles sont répar­ties dans plus de vingt car­nets et si au début du tra­vail, en mars, j’ai relu l’ensem­ble, groupé les notes par sujet, attribué des codes à ces car­nets, puis reporté ces codes sur un tableau blanc au-dessus des groupes, je déchiffre aujour­d’hui ces codes sans retrou­ver les car­nets ou trou­ve des car­nets sans men­tion de codes. En ce qui con­cerne la coupure his­torique, c’est encore plus grave: alors que j’é­tais à bord train Genève- Fri­bourg, je me suis mis en devoir de syn­thé­tis­er mes idées, cer­tain d’abor­der bien­tôt cette notion. D’ailleurs, j’y étais par­venu et fort con­tent, je tenais ce plan de tra­vail pour abouti, donc prêt à l’usage. Or, le lende­main, je veux me relire et, impos­si­ble de retrou­ver le plan! Excédé, je finis par réu­nir tous mes car­nets (et cahiers, blocs, feuilles volantes) en une pile et procède à leur lec­ture avec méth­ode, c’est à dire page après page. Rien. Les notes pris­es dans le train ont dis­paru. Cela avait lieu il y deux mois, en avril. Cet après-midi, comme j’ai expliqué, après la sieste, je recom­mence l’ex­er­ci­ce: résumer mon pro­pos autour de la notion de coupure his­torique. Je vais au tableau blanc, utilise les codes pour met­tre la main sur les car­nets cor­re­spon­dants. Au bout de deux heures, j’ai un canevas. A aucun moment, je ne pense aux notes pris­es dans le train. Or, à vingt heures, après ma séance de sport sur le toit, je jette un œil à un livre ouvert ren­ver­sé sur le coin de mon bureau depuis mon emmé­nage­ment dans l’ap­parte­ment espag­nol, La pre­mière révo­lu­tion indus­trielle par Patrick Ver­ley. Et quelle révo­lu­tion: toutes les notes sont là, sur les pages blanch­es, à la fin du livre! 

Méthode

Il est plus facile d’ar­riv­er que de par­tir, c’est pourquoi je pars tout le temps.