Mois : mai 2016

Bonheur simple

Le pro­prié­taire de l’ap­parte­ment me vante le restau­rant du quarti­er.
- Le meilleur de l’ag­gloméra­tion!
Ce qu’il ne dit pas, c’est que ce restau­rant est le meilleur parce qu’il est à côté de l’ap­parte­ment. Il le dit sans ruse; d’ailleurs, il ne lui viendrait pas à l’idée d’en essay­er un autre.

Amour

Il n’y a de reli­gion vraie que d’amour. L’église détourne la reli­gion. Aimer, c’est aimer être ensem­ble. Uni­ver­sal­isé, cet élan réalise une union mys­tique des hommes face au des­tin ani­mal. L’in­ven­tion de l’or­dre dans la dis­tri­b­u­tion de la grâce est poli­tique de même que sont idéologiques les reli­gions qui priv­ilégient la loi à l’amour. Le chris­tian­isme, c’est Jésus comme force d’amour et non le Christ comme sacrifice.

Ciel andalou

Couché sur le toi, je regarde le ciel. La mer, c’est encore trop matériel. Et puis il faudrait se tenir debout. Éton­nante pro­fondeur du ciel. Il ne com­mence ni ne finit. Où que je regarde pas une touche de blanc. Limpi­de, sec, immense. Un vide rassurant.

Débâcle

L’im­mi­gra­tion de masse comme pré­texte aux lois d’ex­cep­tion. Puis, lev­ée de l’ex­cep­tion, régu­lar­i­sa­tion, total­ité. Le prob­lème fon­da­men­tal est économique: ceux qui volent veu­lent vol­er plus et mieux. Or, cela com­mence à se voir.

Fête

Ce soir, comme je vais sor­tir, je pense: vive­ment que je sois dans le taxi qui me ramèn­era chez moi. Plus tard, la con­ver­sa­tion aidant — parce qu’en effet elle aide — je plonge, reçois et donne avec plaisir. Enfin, tard, tôt, dans le taxi, par­mi les four­gons de police et les fêtards, sous une lune épaisse, je me demande quelle posi­tion idéale je pour­rais occu­per pour avoir un point de vue sur tout cela et demeur­er à peu près vivant, c’est-à-dire vis­i­ble pour le reste de l’humanité. 

Rapport

Je com­prends main­tenant pourquoi je suis impa­tient, fatigué, et dans le rap­port cir­con­stan­ciel aux autres, dans l’or­dre, indif­férent, gen­til et si cela ne suf­fit pas, méchant. Mon but est de me débar­rass­er de tout ce qui chez l’autre tient du rôle social pour m’in­téress­er à ce qu’il est.

Nord

Les pays du Nord de l’Eu­rope doivent faire face à cette vérité effrayante: il n’y a plus de culture.

Zombies

Rien de ce que j’ai atteint du point de vue social ne m’in­téresse. Seule compte la con­quête du temps. Les puis­sances coal­isées, de l’é­cole à l’E­tat et des maîtres de la fausse morale aux pour­voyeurs de solu­tions indus­trielles, sont des fab­ri­cants d’ob­sta­cles. Une fois fran­chis ces obsta­cles, vous en êtes là où vous auriez voulu com­mencé. Alors appa­raît le drame dans toute sa cru­auté: la plu­part des vivants, le temps qu’ils vivent, ne peu­vent que pré­ten­dre à la vie. Et ce thème du zom­bie poli­tique — celui qui mord les hommes de bonne volon­té pour répan­dre son sang infecte — acquiert aujour­d’hui une nou­velle actu­al­ité: les sol­dats du déplaisir et de la régle­men­ta­tion sont partout en posi­tion d’autorité.

Exfiltration

Entraîne­ment hier en petit comité de tech­niques d’ex­fil­tra­tion. Cha­cun adopte à tour de rôle une fonc­tion dans le dis­posi­tif de sécu­rité. Devant vont les com­bat­tants, à côté de la per­son­ne à pro­téger le garde du corps, à l’ar­rière les tireurs. Dès que les coups com­men­cent à pleu­voir, les com­bat­tants ouvrent une voie au milieu des attaquants que le garde du corps faire franchir au pro­tégé avant de l’en­gouf­fr­er dans la voiture.
- Recom­mençons, dit l’in­struc­teur. Si le patron est riche, nous avons deux com­bat­tants à l’a­vant, un garde rap­proché. S’il est très riche, nous aurons qua­tre com­bat­tants, deux gardes du corps, un tireur. Ensuite, on entre dans les sché­mas mil­i­taires.
Nous répé­tons l’ac­tion. Je joue un com­bat­tant, puis le tireur. L’in­struc­teur éval­ue les erreurs, les pertes, les blessés.
- Là, tu dois cou­vrir le patron de ton corps! Si quelqu’un prend une balle, c’est toi! Tu es payé pour ça!
A quoi mon copain, le colosse Russe, répond:
- Tout dépend ce qu’il paie!
Quant à moi, après avoir essayé plusieurs com­bi­naisons et accu­muler les erreurs, je con­clus que le mieux est encore d’être celui qui paie pour avoir la vie sauve.

Bricolage

Longtemps j’ai pris plaisir à feuil­leter es cat­a­logues de super­marché. Je pas­sais vite sur les ali­ments pour m’at­tarder sur l’élec­tromé­nag­er, la hi-fi et le jardin, mais ce que préférais, c’é­tait les offres des cen­tre de brico­lage: d’abord parce que les cat­a­logues avec l’é­pais­seur des livres, ensuite parce que l’on pou­vait les con­sul­ter dans un esprit de jeu, chercher si tel tableau élec­trique était com­pat­i­ble avec tel salle de bains, tel mélange de plâtre avec tel car­relage. Pour aug­menter le plaisir, je dis­po­sais devant moi les cat­a­logues de plusieurs enseignes et un sty­lo à la main je com­para­is les pro­duits. Savoir que l’ensem­ble du marché visait à four­guer de la camelote chi­noise à la classe moyenne inférieure ne m’ar­rê­tait pas. Con­stru­ire ou entass­er per­me­t­tait en théorie de garan­tir la vie con­tre les offens­es du temps. Aujour­d’hui, j’ai com­pléte­ment renon­cé à ce plaisir. Ou plutôt, j’en ai trou­vé un qui est plus per­vers: feuil­leter les mêmes cat­a­logues pour retrou­ver la sen­sa­tion d’autre­fois tout en sachant que je n’achèterais pas le plus petit boulon.