Tantôt, nous sommes allés au marché de Sukhothai. Depuis Kathamandu il y a vingt ans, où j’avais fait découpé un steak dans un morceau de viande visité des mouches avant de l’apporter dans un journal au cuisinier du restaurant, je n’avais rien vu d’aussi misérable. Juchées sur des tabourets et noyées dans des amoncellements de fleurs, les femmes composent tresses et couronnes destinées aux autels privés qu’entretiennent les Thäis dans leur salon, leur jardin, leurs voitures, à l’entrée des ponts, des restaurants, des chantiers, des maisons. Abrités sous des murs de chaux gris, veillant à demeurer immobiles pour se protéger de la chaleur de l’après-midi, les marchands de vêtements forment une ligne parfaite. Vous approchez, ils ne bougent pas un cil. Vous saisissez le coin d’un jean, ils tournent la tête. Il faut insister pour qu’ils se lèvent, et encore ne ‘éloignent-ils qu’avec précaution de leur chaise comme si celle-ci, emportée par la torpeur, allait disparaître, leurs enlevant tout recours. Je cherche des sabots. Cet objet de grande laideur, enveloppant, bleu ou rose, rouge ou vert, fait de pétrole coagulé, mais inodore à l’usage et qui permet de de marcher sur terre, de traverser les gouilles à l’heure de la mousson et de piétiner les fonds marins. Les Thaïs en possèdent tous une paire. En cette saison, et malgré la chaleur dont ils sont eux aussi victimes, ils portent des chaussettes. Il me faut une pointure 45. J’ai beau être habillé comme un clown, autrement dit, comme tous les touristes, au moment de miser sur une certaine forme (il y a des nuances) et une certaine couleur (les combinaisons ne manquent pas), je minaude. Premier magasin, couleur et forme, mais pas la pointure. Quelques minutes auparavant, je n’avais que l’idée vague de procéder à un achat. Voyant que trouver la paire convenable ne sera pas facile, mon intérêt se précise. Deuxième, puis troisième magasin. Même insuccès. Cependant, Gala trouve une couturière. Celle-ci entreprend de lui réparer à la main une chaussure à talon dont la courroie de fermeture est brisée. L’opération étant plus qu’improbable, Gala annonce vouloir rester à son côté. Je parcours la halle du marché, puis les rues adjacentes. Au sixième magasin, je constate que tous les marchands vendent les mêmes modèles, mais qu’il se sont répartis les pointures, les couleurs et les formes, de sorte que chaque magasin drainera théoriquement une quantité égale de clients. Encore faut-il savoir où se trouvent les magasins. Au bout d’une demi-heure, j’en ai repéré onze. Mais une question demeure ouverte: qui a bien voulu recevoir en partage les pointures 45. Cela revient à maximiser les risques. A ma grande surprise, je finis par trouver ce que je ne veux pas: des sabots laids comme ils sont tous, d’une couleur et d’une forme qui ne me plaisent pas, mais qui chaussent du 45, et c’est alors que je tombe sur la halle aux poissons. Les bêtes éventrées sèchent au soleil par centaines, pieds nus, en chien de fusil, les femmes dorment sur les caques, des eaux sanglantes s’écoulent sous les éventaires charriant des têtes que croquent les chats tandis que les restaurateurs embarquent à même les pont des voitures des brassées de poulpe, de coques et de tilapias de salaison, jetant de la glace au hasard sur ces achats.