Mois : janvier 2016

Coïncidence

Pitié pour les hommes, leur con­di­tion, leur des­tin. A pleur­er. Et cepen­dant, quelle grandeur, quelle force, quelle esthé­tique! Impos­si­ble d’imag­in­er réal­ité vivante plus aboutie.

Miroir

Dans la voiture qui le dépas­sait, il recon­nais­sait ses grands-par­ents, ses frères et sœurs, et au volant, lui-même.

Vue

Il se van­tait d’avoir une vue impren­able sur un arbre.

Perfection

L’homme doit par­faire son corps et son esprit afin d’é­galer ce qu’il val­orise par-dessus tout, dieu ou idéal, et cela en pure perte. Exi­gence et gra­tu­ité, noblesse.

Théodicée

Con­tre les théod­icées, la volatil­ité des con­nais­sances, leur trans­mis­sion erra­tique, la néces­sité con­stante du rap­pel, la refon­da­tion oblig­ée du savoir qui lais­sent ressur­gir le fonds prim­i­tif, pul­sion­nel, barbare.

Occident

Que peut-on atten­dre d’un peu­ple qui refuse de mourir sinon la mort?

Développement durable

Hier, je me rends à l’épicerie de Klong Chao. Placées le long de l’u­nique route qui tra­verse l’île, ces épiceries vendent de l’eau, de la poudre à lessive, des gants, des paque­ts de bis­cuits et de l’essence pour motos en bouteilles de 1litre. Je com­plète mon réser­voir, rem­pli le cof­fre de bière et cherche dans les éta­lages. Deman­der ne va pas sans prob­lème. Au mieux, le lex­ique cor­re­spond au choix de pro­duits exposés. Or, je veux un car­net. J’indique la taille de l’ob­jet, mime un sty­lo qui court sur la page. Pour ce qui est du papi­er ne cir­cu­lent dans l’île que les blocs de quit­tances et le papi­er toi­lettes. Comme je n’ai pas l’air d’avoir la tourista, l’épici­er me présente un bloc de quit­tances. Je fais signe que je veux écrire. D’une main, il fait “non” ce qui sig­ni­fie plus pré­cisé­ment: “oh non, nous n’avons pas cela! il est tout à fait impos­si­ble que nous ayons cela! pourquoi auri­ons-nous cela?” Je règle mes achats et sors. Je vais démar­rer la moto, lorsque l’épici­er accourt un cof­fret à la main.
- Voici, vous êtes mon meilleur client, je vous le donne, c’est pour vous.
Le cof­fret, en car­ton recy­clé, con­tient un cahi­er de jeux pour enfants, un cal­en­dri­er illus­tré et un bloc-notes de deux cent pages. Le tout frap­pé du logo de la com­pag­nie pétrolière nationale et mar­qué de ce slo­gan: “knowl­edge cre­ates sustainability”.

Obituaire

Il y avait un avant, un après; il n’y a plus que le présent. Nous vieil­lis­sons sans exister.

Notre avenir

Zarathous­tra, incar­na­tion du surhomme niet­zschéen, en atti­rant l’at­ten­tion des plus opti­mistes sur le sort du dernier homme, souligne l’im­pos­si­ble dépasse­ment de la con­di­tion méta­physique pla­toni­ci­enne puis chré­ti­enne qui con­damne la créa­ture à se penser indéfin­i­ment en tant que créa­ture et à pos­er de ce fait comme néces­saire une rela­tion à la tran­scen­dance. Le dernier homme est celui qui retombe dans l’er­reur, quitte à avoir entre­vu les pos­si­bil­ités de se libér­er du joug méta­physique. Lorsque, dans l’An­cien tes­ta­ment, Adam com­ment la faute, son pêché est, du point de vue théologique, infi­ni, car il est un pêché con­tre Dieu, être infi­ni. Un mon­tage savant, en symétrie, des événe­ments de la Genèse et des Evangiles, per­met de théoris­er le cru­ci­fix­ion comme le seul rachat pos­si­ble de la faute pre­mière d’Adan. En effet, Jésus, fils de Dieu, en se sac­ri­fi­ant pour l’homme, rachète le pêché orig­inel com­mis con­tre le Père. Ce gal­i­ma­tias, aus­si habile que con­trou­vé, per­met dans le même esprit de spécu­la­tion d’établir que si l’homme, de pous­sière cette fois, a dû recourir au sac­ri­fice de ce prophète des prophètes qu’est Jésus pour être quitte de sa faute, il n’en obtient qu’un soulage­ment sym­bol­ique. De fait, ce n’est pas lui, en tant qu’homme qui a su se racheter. En quelque sorte, la faute devient, après la mort du Christ, indéfinie. Ce qui implique qu’elle devra être revécue jour apès jour et, dans le même mou­ve­ment, faute de par­don, excusée par des expé­di­ents. Or, qui est maître de ces expé­di­ents et du dis­cours qui les légitime sinon le clergé? Sinon l’Eglise?  Mais voici l’his­toire qui s’ac­célère. La tech­nique l’emporte sur le sacré, la révo­lu­tion indus­trielle con­quiert le con­ti­nent à par­tir de l’An­gleterre. Elle apporte la destruc­tion, la guerre, le bien-être et la paix. Dans la sec­onde moitié du XXème siè­cle, quand recule la prég­nance des idéolo­gies pos­i­tivistes liées aux pre­mières appli­ca­tions de masse des décou­vertes sci­en­tifiques, le peu­ple se tourne vers la matière en tant que matière et, pro­gres­sive­ment, installe dans les sociétés des rap­ports non-médi­atisés par le sacré. Con­séquence évi­dente, le clergé recule.L’homme n’est pas libre — il ne s’ag­it aucune­ment du surhomme niet­zschéen — mais il n’est plus inscrit en tant que créa­ture dans cette rela­tion de créa­ture à créa­teur où il occu­pait, fatale­ment, indéfin­i­ment, le pôle faible. Dès lors, le clergé d’église perd de son influ­ence. L’oe­cuménisme est la meilleure preuve de la perte défini­tive du pou­voir des médi­a­teurs chré­tiens qui, au nom de la foi et de la repen­tance, main­te­naient l’homme dans son statut de créa­ture inscrite dans une rela­tion méta­physique. Hélas, si le cap­i­tal­isme et ses pro­grès tech­niques à détru­it le clergé d’église et son pou­voir, il a dans le même temps décrédi­bil­isé le pou­voir en tant que tel, à com­mencer par celui qui fait tou­jours alliance avec l’église, celui de l’État. Or, une État sans peu­ple, cela ne se peut pas. La situ­aion de l’E­tat en ce début du XXième est celle d’un pou­voir inopérant, ven­du sur une base de pro­pa­gande à un peu­ple qui, aver­ti con­tre les inter­mé­di­aires, est con­va­in­cu que toute inter­férence addi­tion­née aux impéraifs de la ges­tion économique du monde, relève de la vampyri­sa­tion. C’est pourquoi les Etats occi­den­taux cherchent par tous les moyens à élever les cultes prim­i­tifs du tiers-monde, à com­mencer par son représen­tant  majeur, l’Is­lam, au rang de reli­gion d’E­tat. Afin, le moment venu, de faire alliance avec lui, con­tre le peu­ple ou, à défaut, si cette reli­gion prim­i­tive, importée en même temps que ses fidèles, devait pré­ten­dre ren­vers­er l’E­tat, pour se porter garant du peu­ple con­tre cette men­ace. Dans les deux cas, cela appa­raît comme le seul moyen pour les Etats occi­den­taux de repren­dre la main sur des peu­ples qui, suré­duqués et utile­ment cri­tiques, se défient de tous les pou­voirs. La voie moyenne qu’un esprit libre peut espér­er tenir face aux menées autori­taires de ces Etats aux pro­grammes délétères con­siste à refuser la posi­tion de fer­me­ture ontologique du dernier homme et à ten­dre con­tre toutes les églis­es, tous les courants idéologiques et bien enten­du, con­tre les pou­voirs d’E­tat, vers une incar­na­tion, à hau­teur des moyens réels de l’homme (non aug­men­tés au sens du posthu­man­isme) du surhomme.

De la sublimation

L’é­conomie d’abon­dance, par oppo­si­tion à l’é­conomie de la rareté telle que l’organise le cap­i­tal­isme, appa­raît de prime abord comme la sit­u­a­tion entre toutes envi­ables et cela, tant pour la sécu­rité biologique que pour l’é­panouisse­ment de la vie, mais sauf à priv­ilégi­er de façon naïve une vision roman­tique des stades de l’é­conomie (je préfère le Rousseau du Dis­cours sur l’o­rig­ine et les fonde­ments de l’iné­gal­ité par­mi les hommes) force est d’ad­met­tre que dans ce régime hypothé­tique d’un échange idéal entre l’homme et son milieu, il n’y a pas de recherche de sub­li­ma­tion, donc pas d’art, seule activ­ité qui dis­tingue absol­u­ment l’homme de l’an­i­mal. L’art per­met à la lib­erté humaine de se réalis­er. A la lim­ite, par cette pra­tique qui est tou­jours une aven­ture, c’est à dire une expéri­ence de l’in­con­nu, l’homme prou­ve sa lib­erté. Ce n’est pas un hasard si dans les grands clas­siques de la sci­ence-fic­tion, la destruc­tion de l’art, et d’abord du lan­gage, son out­il, con­damne l’homme à la total­ité: sans expéri­ence de l’in­con­nu, la répéti­tion du même inscrit l’homme dans une total­ité qui est proche de celle que con­naît le règne animal.