Pitié pour les hommes, leur condition, leur destin. A pleurer. Et cependant, quelle grandeur, quelle force, quelle esthétique! Impossible d’imaginer réalité vivante plus aboutie.
Mois : janvier 2016
Développement durable
Hier, je me rends à l’épicerie de Klong Chao. Placées le long de l’unique route qui traverse l’île, ces épiceries vendent de l’eau, de la poudre à lessive, des gants, des paquets de biscuits et de l’essence pour motos en bouteilles de 1litre. Je complète mon réservoir, rempli le coffre de bière et cherche dans les étalages. Demander ne va pas sans problème. Au mieux, le lexique correspond au choix de produits exposés. Or, je veux un carnet. J’indique la taille de l’objet, mime un stylo qui court sur la page. Pour ce qui est du papier ne circulent dans l’île que les blocs de quittances et le papier toilettes. Comme je n’ai pas l’air d’avoir la tourista, l’épicier me présente un bloc de quittances. Je fais signe que je veux écrire. D’une main, il fait “non” ce qui signifie plus précisément: “oh non, nous n’avons pas cela! il est tout à fait impossible que nous ayons cela! pourquoi aurions-nous cela?” Je règle mes achats et sors. Je vais démarrer la moto, lorsque l’épicier accourt un coffret à la main.
- Voici, vous êtes mon meilleur client, je vous le donne, c’est pour vous.
Le coffret, en carton recyclé, contient un cahier de jeux pour enfants, un calendrier illustré et un bloc-notes de deux cent pages. Le tout frappé du logo de la compagnie pétrolière nationale et marqué de ce slogan: “knowledge creates sustainability”.
Notre avenir
Zarathoustra, incarnation du surhomme nietzschéen, en attirant l’attention des plus optimistes sur le sort du dernier homme, souligne l’impossible dépassement de la condition métaphysique platonicienne puis chrétienne qui condamne la créature à se penser indéfiniment en tant que créature et à poser de ce fait comme nécessaire une relation à la transcendance. Le dernier homme est celui qui retombe dans l’erreur, quitte à avoir entrevu les possibilités de se libérer du joug métaphysique. Lorsque, dans l’Ancien testament, Adam comment la faute, son pêché est, du point de vue théologique, infini, car il est un pêché contre Dieu, être infini. Un montage savant, en symétrie, des événements de la Genèse et des Evangiles, permet de théoriser le crucifixion comme le seul rachat possible de la faute première d’Adan. En effet, Jésus, fils de Dieu, en se sacrifiant pour l’homme, rachète le pêché originel commis contre le Père. Ce galimatias, aussi habile que controuvé, permet dans le même esprit de spéculation d’établir que si l’homme, de poussière cette fois, a dû recourir au sacrifice de ce prophète des prophètes qu’est Jésus pour être quitte de sa faute, il n’en obtient qu’un soulagement symbolique. De fait, ce n’est pas lui, en tant qu’homme qui a su se racheter. En quelque sorte, la faute devient, après la mort du Christ, indéfinie. Ce qui implique qu’elle devra être revécue jour apès jour et, dans le même mouvement, faute de pardon, excusée par des expédients. Or, qui est maître de ces expédients et du discours qui les légitime sinon le clergé? Sinon l’Eglise? Mais voici l’histoire qui s’accélère. La technique l’emporte sur le sacré, la révolution industrielle conquiert le continent à partir de l’Angleterre. Elle apporte la destruction, la guerre, le bien-être et la paix. Dans la seconde moitié du XXème siècle, quand recule la prégnance des idéologies positivistes liées aux premières applications de masse des découvertes scientifiques, le peuple se tourne vers la matière en tant que matière et, progressivement, installe dans les sociétés des rapports non-médiatisés par le sacré. Conséquence évidente, le clergé recule.L’homme n’est pas libre — il ne s’agit aucunement du surhomme nietzschéen — mais il n’est plus inscrit en tant que créature dans cette relation de créature à créateur où il occupait, fatalement, indéfiniment, le pôle faible. Dès lors, le clergé d’église perd de son influence. L’oecuménisme est la meilleure preuve de la perte définitive du pouvoir des médiateurs chrétiens qui, au nom de la foi et de la repentance, maintenaient l’homme dans son statut de créature inscrite dans une relation métaphysique. Hélas, si le capitalisme et ses progrès techniques à détruit le clergé d’église et son pouvoir, il a dans le même temps décrédibilisé le pouvoir en tant que tel, à commencer par celui qui fait toujours alliance avec l’église, celui de l’État. Or, une État sans peuple, cela ne se peut pas. La situaion de l’Etat en ce début du XXième est celle d’un pouvoir inopérant, vendu sur une base de propagande à un peuple qui, averti contre les intermédiaires, est convaincu que toute interférence additionnée aux impéraifs de la gestion économique du monde, relève de la vampyrisation. C’est pourquoi les Etats occidentaux cherchent par tous les moyens à élever les cultes primitifs du tiers-monde, à commencer par son représentant majeur, l’Islam, au rang de religion d’Etat. Afin, le moment venu, de faire alliance avec lui, contre le peuple ou, à défaut, si cette religion primitive, importée en même temps que ses fidèles, devait prétendre renverser l’Etat, pour se porter garant du peuple contre cette menace. Dans les deux cas, cela apparaît comme le seul moyen pour les Etats occidentaux de reprendre la main sur des peuples qui, suréduqués et utilement critiques, se défient de tous les pouvoirs. La voie moyenne qu’un esprit libre peut espérer tenir face aux menées autoritaires de ces Etats aux programmes délétères consiste à refuser la position de fermeture ontologique du dernier homme et à tendre contre toutes les églises, tous les courants idéologiques et bien entendu, contre les pouvoirs d’Etat, vers une incarnation, à hauteur des moyens réels de l’homme (non augmentés au sens du posthumanisme) du surhomme.
De la sublimation
L’économie d’abondance, par opposition à l’économie de la rareté telle que l’organise le capitalisme, apparaît de prime abord comme la situation entre toutes enviables et cela, tant pour la sécurité biologique que pour l’épanouissement de la vie, mais sauf à privilégier de façon naïve une vision romantique des stades de l’économie (je préfère le Rousseau du Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes) force est d’admettre que dans ce régime hypothétique d’un échange idéal entre l’homme et son milieu, il n’y a pas de recherche de sublimation, donc pas d’art, seule activité qui distingue absolument l’homme de l’animal. L’art permet à la liberté humaine de se réaliser. A la limite, par cette pratique qui est toujours une aventure, c’est à dire une expérience de l’inconnu, l’homme prouve sa liberté. Ce n’est pas un hasard si dans les grands classiques de la science-fiction, la destruction de l’art, et d’abord du langage, son outil, condamne l’homme à la totalité: sans expérience de l’inconnu, la répétition du même inscrit l’homme dans une totalité qui est proche de celle que connaît le règne animal.