Pluies abondantes sur Makassar. La mer déborde sur les rizières, les maisons flottent, les arbres sombrent. Le trafic? Il est démentiel. Des camions titubants, des voitures ruisselantes, des essaims de motards, des tombereaux de fer, de teck, de terre. Aux carrefours, des gosses pieds nus. Sous les ponts, des militaires, des marchandes de riz, des cahutes de police, des bienheureux, des poissons. Dans cette gabegie, un haut personnage. Six voitures sombres, bloquées comme les autres, mais qui klaxonnent à tout rompre. Les gyrophares envoient des éclats bleus contre la nuit. En contrebas de la route, des motards en poncho, les jambes tendues sur le réservoir, naviguent dans des flaques de boue. Le tonnerre gronde, le chauffeur tousse. Gala enfoui la tête dans sa veste de ski, j’enfile lunettes, casquette et mentonnière. Notre chauffeur est plus volontaire que celui de Kuala Lumpur: dix degrés suffisent. Il est en t‑shirt, et malade. Il baisse la fenêtre, une rafale de vent tiède pénètre. Il crache, referme. Rouvre, crache encore. Et dit son mécontentement: “ts, ts, ts, ts!” Il n’a pas tort: un tel flot de véhicules, c’est effrayant. Soudain, un éclair. La pluie redouble. Nous passons un péage. Un autre. Au bout d’une demi-heure, je dis: “voilà le centre.” Une demi-heure plus tard: “on dirait que nous y sommes!” Et à force, j’abandonne. Seule vérité: nous n’arriverons jamais. Au fait, j’ai parlé de carrefour. Il y en a — peu. La plupart des manœuvres s’exécutent spontanément, au milieu des voitures qui roulent en sens inverse. Brusquement, cent voitures effectuent un tourné sur route. Des tas se forment sur la chaussée. Que l’eau emporte. La nuit déjà bien avancée, le chauffeur nous dépose devant une grille. Mansion Asatu. Une villa au socle carrelé. Une patinoire. Sa porte ouvre sur un hall. Celui-ci mène dans une cuisine. Nous croisons une fille. Gala lui demande une adresse de bar. Deux cuisines et un couloir plus loin, je tombe sur des ordinateurs éteints et appelle Gala. Elle ne vient pas. Je rebrousse chemin. Elle montre quelque chose dans la paume de sa main. Un billet, précieux: deux adresse de bar. Même parcours, les cuisines, le couloir: nous débouchons. Une dame nous reçoit. Généreuse, enthousiaste, patibulaire, possiblement papou. Elle nous guide à notre chambre. Nous jetons les valises sur le lit, demandons s’il y a des bars. Des bars? Que voulez-vous dire? Pour boire, dans le quartier. Il n’y en a pas. Gala produit son billet. La dame appelle son fils, le fils sort un pick-up. Nous glissons sur la pente carrelée, le fils mêle le pick-up au trafic, à la gabegie. Un quart d’heure, une demi-heure. En direction de l’aéroport. Si l’on me disait que ces gens ont le projet de nous remettre dans un avion, je ne serai pas étonné.
-Mais enfin, Gala, qui est cette fille pour te donner de pareilles adresses?
Etions-nous seulement dans l’hôtel ou s’agissait-il d’une maison voisine? Et voilà que la dame papoue parle de faire des achats.
- J’ai compris, s’écrie Gala, elle va faire des courses avant de nous déposer!
Non, pourtant, elle cherche bien notre bar, le Kampai, rue Sulawesi: nous y sommes, voilà déjà la rue. Derrière les essuie-glaces, nous déchiffrons les enseignes. J’aperçois un luminaire Guiness. C’est une épicerie. Le Kampai existe. Nous le trouvons. Dix serveurs adolescents coiffés au gel, pas un client. Des frigidaires remplis de bouteilles. La dame et son fils s’en vont. Un serveur apporte deux Bintang, les décapsule, verse, fait un pas de côté, croise les mains sur le ventre, nous regarde boire. Toutes les trois gorgées, il ressert.
- Je ne peux pas boire comme ça, fait Gala.
Elle le remercie. Il se retire.
- Tu l’as vexé.
- Penses-tu!
Lorsque nous ressortons, les adolescents ont le sourire. Le chef agite l’addition et fait au revoir. Ils se mettent à trois pour nous ouvrir la porte du taxi. La température aussitôt chute.