Petronas

A Kuala Lumpur, dans une cham­bre au 28ème étage. Der­rière la baie vit­rée, les tours Petronas. Trente-six mille tonnes d’aci­er. A mi-hau­teur, une passerelle. Au sol, un parc de diver­tisse­ment: collines arti­fi­cielles, aimables forêts, bassin en forme de conque; les bam­bins s’ébrouent, le femmes voilées bavar­dent. Une voiture élec­trique nous amène à l’en­trée des galeries marchan­des. Une rib­am­belle de ter­rass­es où les touristes ennuyés boivent de la pres­sion et man­gent des ham­burg­ers. Plus loin, la mosquée, son dôme pâtissier. Ici et là, des chantiers où tour­nent des grues rouges. Les façades, les esplanades, les trot­toirs et les routes sont en mar­bre. Tout chuinte et glisse. Balade dans le cerveau d’un archi­tecte. Con­tre les tours jumelles, un bâti­ment en forme de puits. Vers le haut, dis­tribuées le long des galeries, les mar­ques du monde. En bas, un sapin avec chalet, père Noël, traîneau et flo­cons de ouate. Les Malais font la queue, se pren­nent en pho­togra­phie, puis défi­lent bras dessus-dessous, l’air extasié. La nuit tombe. Les badauds se regroupent autour du plan d’eau extérieur. Démarre une choré­gra­phie mécanique: les jets propulsent et tour­nent, les spots éclairent et col­orent. Plus tard, nous sommes au Sky bar de l’hô­tel Traders. Lieu hup­pé, vue. Les salons pri­vat­ifs sur­plombent le vide. Le per­son­nel con­tourne une piscine de deux pistes con­stru­ite sous la galerie vit­rée du 34ème étage. Pour rejoin­dre sa table, il faut chem­iner sur le bord du bassin. En fin de soirée, nom­breux doivent être les nageurs à faire la tra­ver­sée en costard. Dans l’im­mé­di­at, toutes les tables sont réservées. Des tri­an­gles de métal gravé pré­cisent: i am booked already. Dépités, les clients de l’hô­tel lon­gent la piscine, jet­tent un œil aux tours, repren­nent l’as­censeur. Nous attrapons un tri­an­gle, le jetons sous la table, prenons place. Deux serveurs accourent et se met­tent à notre dis­po­si­tion. Puis à qua­tre heures du matin je descends au club de sport. Dix vélos ellip­tiques et autant de pistes de course sont alignés con­tre une baie vit­rée grand for­mat: en bas, sur la place, les buis­sons, les tobog­gans et les voiturettes bâchées évo­quent un vil­lage Play­mo­bil. Un Chi­nois soulève de la fonte. Il est de Miri, cette ville du Sarawak frontal­ière du Brunei. Il y a vingt ans, je m’y suis ren­du en bateau depuis Kuch­ing. Un bateau porté par une bat­terie d’hélices toni­tru­antes. La moitié de la coque hors de l’eau, nous remon­tions le fleuve lorsque je demande à aller aux toi­lettes. Elles sont à l’ex­térieur, côté poupe. Je tra­verse la salle des machines, monte sur le pont. Au même moment, le bateau quitte le fleuve et entre en mer. Il s’écrase con­tre des vagues de deux mètres, bon­dit dans les airs. Je pars à la ren­verse, accroche la poignée des toi­lettes. Couché, les pieds par-dessus le bastin­gage, je hurle. Quand le bateau s’af­fale, je rampe jusqu’à la salle des machines. La tête dans le bol, le mécani­cien mange une soupe.