Mois : septembre 2015

Démonstrations

Pour les indi­vidus qui pré­ten­dent démon­tr­er la vérité en jetant des bombes, je n’ai aucune sym­pa­thie, mais  que l’on puisse empris­on­ner sur la base d’une inten­tion m’est tout aus­si insupportable.

Mort

Sou­vent, j’ai le sen­ti­ment que tout va finir. C’est pourquoi je fais en sorte que cela finisse: pour que cela recom­mence. D’un autre côté, je cesse de faire, je m’imag­ine ne faisant pas, je coor­donne un déficit d’ac­tiv­ités et le con­tem­ple et tente de ne plus bouger car si la mort est un état dans lequel il ne se passe rien, être devant elle dans un état où il ne se passe rien, c’est être prêt.

Feu

Je me vois assis devant un feu, une cou­ver­ture sur les jambes, la mai­son est entourée de forêt ou d’un lac, ou encore de mon­tagnes, je suis peut-être seul, je ne lis pas, je bois un café, un alcool, un thé, une hor­loge tourne, j’ai de la sym­pa­thie pour un arbre, les bruits ont un lan­gage, j’at­tends. Je me vois assis dans un fau­teuil, devant un feu et j’ig­nore si cette image est récon­for­t­ante, si elle est une bonne intro­duc­tion à la mort.

Intérêts

Dans la vie m’in­téressent, la pen­sée, la vie, l’amour, le sacré, la beauté, l’effort.

Opposition

L’homme améri­cain et l’homme européens sont de car­ac­tère opposés. Pour l’Améri­cain, avant qu’il ne démon­tre le con­traire, un incon­nu est un enne­mi. Pour l’Eu­ropéen, un ami.

Propagande

La pro­pa­gande n’est plus ce dis­cours que des spé­cial­istes en men­songes élab­o­raient pour le compte de dic­ta­teurs, elle est dev­enue l’ensem­ble des actes et paroles que les indi­vidus jouent au quo­ti­di­en sous le nom d’existence.

Attente

Que peut-on atten­dre de l’écri­t­ure? Atten­dre? Rien, si ce n’est la sat­is­fac­tion de s’ex­hauss­er quelque peu le temps que l’on écrit.

Travail

Chez Hen­ri Roor­da, cette détes­ta­tion du tra­vail et de sa logique de répéti­tion. Activ­ité qui démolit l’être. Excep­tion­nel que d’avoir échap­pé à ce piège, mais aus­si, il faut l’avoir dev­iné et dénon­cé d’emblée, à part soi, pour espér­er y échapper.

Promenade

A Paris, la semaine dernière, j’ai marché de rue en rue, tra­ver­sant les quartiers et les épo­ques; Saint-Eustache d’abord, en venant de la rue des Halles. Les pavil­lons que je voy­ais en 2004 de ma cham­bre située au dernier étage de la mai­son de paroisse de l’église ont été démo­lis. Cette année-là, les pro­jets  du nou­veau forum étaient en con­cours, les can­di­dats archi­tectes expo­saient dans l’ago­ra du cen­tre com­mer­cial. Ce matin, debout sur une plate­forme qui domine la rue Berg­er, j’ai devant les yeux un gigan­tesque chantier. Le toit vit­ré de l’éd­i­fice nom­mé la Canopée est en par­tie assem­blé tan­dis que des engins s’en­gouf­frent dans des pas­sages qui évo­quent une ter­mi­tière. Les flancs du forum sont palis­sadés. Je les con­tourne par la rue Pierre Lescot, reviens par la rue Ram­but­teau sur Saint-Eustache. J’en­tre côté choeur. Le gar­di­en se tient là, dans une cab­ine de verre. C’est un Africain longiligne. Je demande les prêtres.
- Ils ne sont pas ren­trés de vacances.
- Qui est là?
L’Africain hésite, ne retrou­ve pas les noms.
- J’aimerais voir le père Car­pen­tier.
- Oh, non, lui a démé­nagé.
L’ayant remer­cié, je me place sous les grandes orgues. De là, le bedeau aux bas­kets puantes m’avait emmené un soir dans les toits. Chem­i­nant sur les poutres, nous avions toute l’église sous nos corps. Du côté de la porte du jour, on voy­ait une chiotte turque sus­pendue entre deux poutres d’en­trait. Dessous, un vide sacré.
- Les ouvri­ers pou­vaient pas chaque fois redescen­dre.
Après les orgues, je vais à la chapelle des Bouch­ers. Comme autre­fois, elle est occupée par cette sculp­ture ridicule et naïve, de type haï­tien, qui mon­tre les marchands gag­nant les halles avec leurs choux-fleurs, leurs vian­des, leur col­liers de sauciss­es. Puis je cherche le pas­sage dérobé qui amène à la paroisse par l’im­passe Saint-Eustache, tire le mau­vais rideau et me retrou­ve dans une enfilade de pièces inter­dites au pub­lic. Je sors côté Ram­buteau. La men­di­ante roumaine est assise sur la marche de pierre. Même vis­age, même dos rond, même demande d’aumône, mais ce n’est peut-être plus la même men­di­ante. Au moment où je dou­ble le gril­lage fer­mant l’im­passe Saint-Eustache, je trou­ve sur une armoire élec­trique un livre, Ermont à l’époque révo­lu­tion­naire. Par la rue Mont­martre, je gagne le faubourg Pois­sonière. Au lieu d’aller au Pas­sages des Panora­mas (qui me fait penser aux cheveux courts et à la coupe au bol d’Anne Cunéo, à un repas pris avec les enfants dans un bistrot du pas­sage, à l’hô­tel irréel du fond d’al­lée ), je rejoins la porte Saint-Mar­tin et passe devant le mag­a­sin Bur­ton où j’a­chetais mes man­teaux: Gala avait si bien séduite la vendeuse viet­nami­enne que six mois plus tard, lors d’un voy­age ultérieur, celle-ci lui avait fait cadeau d’un pyja­ma de soie com­mandé à sa famille. De là j’ar­pente plusieurs fois la rue du Faubourg-Saint-Mar­tin et entre dans la rue de l’Echiquier où nous  occu­pi­ons une cham­bre de bonne en soupente l’été 2006. Tan­dis que je mange un menu en ter­rasse, un homme s’ef­fon­dre. Les voisins de table, de jeunes pom­piers en civ­il, le sec­ourent. Je con­sulte le livre récupéré sur l’ar­moire élec­trique: pre­mier inven­taire du mobili­er de la mairie (22 nivôse an II — 11 jan­vi­er 1794), Brûle­ment des titres féo­daux, etc. Plus tard, con­tour­nant République, je vais à Oberkampf, où nous avons pris pour la pre­mière fois une cham­bre d’hô­tel avec Gala. C’é­tait au mois d’août, elle s’é­tait évanouie dans le jardin des Tui­leries. De là, je remonte le Boule­vard du tem­ple, sans aller dans la rue Amelot où nous avons longtemps dor­mi à quelques cen­taines de mètres de la librairie anar­chiste et du cirque d’hiv­er. Près du Bar à huîtres où j’ai fêté l’un des mes anniver­saires, un légion­naire vend des bottes. Il me con­seille un mod­èle améri­cain, rem­bour­ré, bas et fer­ré; j’in­siste pour un mod­èle français, para­chutiste, pur cuir, à tige haute: Je repars avec le mod­èle qu’il a con­seil­lé, puis je fais un mes­sage à Gala pour lui deman­der ses men­su­ra­tions et par­cours deux fois la rue de Riv­o­li de la hau­teur de la place des Vos­ges au Bazar de l’Hô­tel de ville sans être capa­ble de retrou­ver la bou­tique de lin­gerie entre­vue dans la mat­inée. En fin d’après-midi, rue Affre, dans le quarti­er de la Goutte d’Or, je pense “mais c’est par là que nous logeait Anne il y a dix ans!” et une sec­onde plus tard,  j’aperçois une grande fille à vélo por­tant un plas­tron orange roulant un vélo cou­vert de fleurs. Je crie:
 — Anne!
C’est elle.

Appel

Qui accepte de tourn­er la vio­lence con­tre soi devient pour le pré­da­teur une vic­time infinie.