TGV pour Paris. Si l’on excepte le rendez-vous avec le proviseur de Sainte-Croix des Neiges dans le val d’Abondance, cinq ans que je ne suis pas retourné en France. Or, suite au nouvel attentat perpétré la semaine dernière par un énergumène du Maghreb, la loi encadrant la surveillance des passagers vient d’être durcie — c’est du moins ce qui a été annoncé. Quoiqu’il en soit, lors de l’achat d’un billet il faut donner son nom et celui-ci est imprimé en toute lettres sur le billet. A Frasnes, les douaniers soupèsent mon sac.
- Vous venez d’où?
- De Fribourg.
- Fribourg où?
Voyant que j’hésite (afin d’avoir l’air aussi naturel que possible, je me suis plongé dans une lecture diffficile et j’ai l’air distrait):
- Fribourg en Allemagne?
- En Suisse.
Le douanier poursuit l’inspection du wagon puis rejoint son collègue. Peu après, ils sont sous ma fenêtre et discutent avec des gendarmes. Pourtant, je n’ai pas eu à montrer mon billet et je n’occupe pas le siège qui m’a été attribué. En effet, fausse alerte: le train repart.
A la gare de Lyon, je déplie un plan et suis à pied un parcours tracé pour les automobiles. Ainsi, pour atteindre la rue Richelieu, je passe par le quai de la Râpée, le pont Morland et le quai des Célestins que je m’étonne de trouver là où il n’y a pas d’eau. Les Editions Allia sont installées au 16 de la rue Charlemagne. La porte cochère est fermée. Au bistrot, je demande le code.
- 6743, crie le garçon.
- Et quand vous n’êtes pas là?
- On demande à qui on peut!
Au fond de la cour, quatre pièces de bureau reliées par un couloir envahi de livres. Gérard Berréby me reçoit. Pour faire de la conversation, je lui explique l’affaire du code.
- La porte est toujours ouverte.
Puis il passe acheter des fromages rue de Rivoli et nous prenons le métro pour rejoindre le quartier de la Goutte d’or où il occupe depuis trente-cinq ans un appartement rue Cavé. Il fait beau et chaud, c’est un souk. Des arabes en robes, et des noires en boubous; à même le sol, des mémères en tchador entourées de sacs de victuailles. Dans un parc, un interminable match de basket: les cris se perdent dans la frondaison des arbres. Des boutiques de manioc et de téléphone portable, des couturiers qui s’esquintent la vue sur veilles machines à coudre derrière des persiennes tordues.
- Tenez, c’est la sortie de la mosqueé, me dit Berréby.
Un peu plus tard:
- Et là, vous avez dû en entendre parler, c’est l’immeuble qui a été incendié la semaine dernière.
En effet, j’aperçois des fleurs et des photographies d’enfants.