Mois : septembre 2015

Visite

Des locataires qui ont déposé leur dossier auprès de la régie vis­i­tent l’ap­parte­ment. Ils avan­cent à pas feu­trés, s’ex­cusent. Cer­tains veu­lent savoir pourquoi je quitte un si bel apparte­ment. Je les ras­sure: c’est sans rap­port avec l’ap­parte­ment. Puis je m’arrange pour leur don­ner un rai­son effrayante. Leur réac­tion est épatante. Ils se deman­dent si je plaisante. Voy­ant que je ne plaisante pas, ils veu­lent réa­gir. Ne sachant que dire, ils se taisent et con­tin­u­ent la vis­ite. L’un des cou­ples, anglo­phone, lui Tamoul, elle blanche, comme nous sor­tons sur le bal­con, pointe de l’autre côté de la rue.
- Nous habitons en face.
- C’est un beau quarti­er, dit la femme, mais il est immo­bile, on ne voit jamais per­son­ne.
Je me retiens de lui dire que c’est bien ain­si: il y a beau­coup trop d’hommes sur cette terre.

Hier

Rêve de squat. Aux enfants, je dis: ” voyez les enfants, je vais compter jusqu’à trois. J’ou­vri­rai alors la porte et vous ver­rez ce qu’est une fête.“
J’ou­vre et, face à l’ag­i­ta­tion folle de mes amis, leurs cris, leur joie, je con­state avec stu­peur com­bi­en est plat le monde dans lequel  nous vivons, mes enfants et moi.

Voie de secours

En par­tie basse des vit­res du train Lyon-Genève il est écrit Accès de sec­ours; en par­tie haute, Issue de sec­ours. La vit­re est séparé par une barre de fer.

Omelette

Gala fait une théorie sur la cuis­son des oeufs. Elle explique au maître d’hô­tel qui con­naît son autocuiseur que l’af­faire est com­pliquée car l’au­tocuiseur est dépourvu de min­u­teur. Puis elle me dit qu’il faut manger des blancs pour les mus­cles.
- Mais évite les jaunes, c’est mau­vais pour le foie.
Avant de mon­ter à bord de son avion de l’Aéro­postale, Saint-Exupéry mangeait une omelette de huit oeufs.

Manosque 3

A midi, nous prenons table sur la place de l’hô­tel de ville. Le ser­vice nous prévient: pour le plat du jour, il y a une demi-heure d’at­tente. Que Gala, exces­sive­ment vol­u­bile, emploie à faire des raison­nements, dis­cuter des prob­lèmes et me deman­der mon avis. Je traîne les pieds, je me tais, je n’en puis plus: à chaque fin de phrase, j’at­tends qu’elle fasse un pause, je pour­rai alors me con­cen­tr­er. C’est que j’ai une dis­cus­sion publique autour de Forde­troit dans une heure. Mais non, Gala relance, s’en­t­hou­si­asme et jubile. Avant de mon­ter sur la scène, je passe vingt min­utes seul, assis à l’é­cart. Un gosse joue au bal­lon devant l’au­di­to­ri­um des Obser­van­tins. Quelques min­utes avant l’heure pro­gram­mée pour le début de la dis­cus­sion, je suis dans le pub­lic, en attente, ne sachant à qui m’adress­er, puis je crois recon­naître (d’après la pho­togra­phie qui fig­ure sur le ban­deau de son livre Il était un ville) l’au­teur Thomas B. Reverdy. Je m’a­vance, nous mon­tons sur la scène.

Espace

La posi­tion de l’homme mod­erne, à la mai­son, assis devant un ordi­na­teur; au bureau, assis devant un ordi­na­teur; au volant, devant un ordi­na­teur et un pare-brise: et à la mai­son comme au bureau, der­rière la table de tra­vail, il y a le plus sou­vent une vit­re. Posi­tion proche de celle du voyageur spa­tial qui con­tem­ple l’u­nivers par un hublot.

Manosque 2

- Tu as vu mon livre?
- Quel livre?
- Le mien. Celui qui j’ai écrit. Il était dans ta valise, celle que je t’ai amenée de Suisse.
- Mais enfin, où est-il?
- Il était là hier soir, je ne sais­pas, c’est impos­si­ble, il a dis­paru…
A la récep­tion, je demande à retourn­er dans notre anci­enne cham­bre, mais je me trompe de numéro. La récep­tion­niste ouvre une cham­bre dans laque­lle il y a un mon­sieur. Elle revient avec la bonne clef: pas de livre.
- Peu importe, dis-je à Gala, seule­ment s’ils me deman­dent de lire, il fau­dra qu’ils m’ap­por­tent un livre.
Puis, je réfléchis. Voilà ce qu’il va se pass­er: je vais me présen­ter sur les lieux de la lec­ture et m’ex­cuser de venir sans mon livre. On me deman­dera mon nom. La dame cherchera Alexan­dre Friederich sur sa liste et dira: ” excusez-moi, nous n’avons per­son­ne de ce nom”. A la librairie, il n’au­ront pas mes livres, je con­sul­terai Gala et nous ne saurons plus com­ment nous sommes arrivés à Manosque.

Manosque

Manosque ressem­ble à un gros escar­got posé sur une colline. Alen­tour, de la vigne, des herbages, une ruine, des canaux. L’hô­tel est à l’en­trée, arc-bouté sur un gira­toire. A son habi­tude, Gala fait chang­er la cham­bre. Elle explique qu’il y a un bruit. Une sorte de mécan­isme. Aléa­toire mais réguli­er. Bref, impos­si­ble de dormir. Elle n’a pas tort. Après le petit-déje­uner, nous voici donc occupés à rem­bal­lé nos bagages. D’ailleurs Gala avait rai­son: la cham­bre que nous obtenons est autrement plus belle et donne sur le jardin.

Remboursement

A l’aéro­port de Madid, j’en­reg­istre mon vélo en bagage spé­cial, puis j’an­nonce que je me rends au ter­mi­nal 1 pour le rem­bourse­ment de la TVA.
- Vous n’au­rez pas le temps.
J’emprunte un trot­toir roulant, un autre, évite le suiv­ant, accélère le pas, compte trente guichets, zigzague entre des pas­sagers attroupés et aboutis devant un guichet de la taille d’une cab­ine de télé­phone. Les sièges mono­co­ques sont occupés. Ces gens atten­dent-ils? Je frappe à la vit­re. Un mil­i­taire se redresse. Côté sièges, aucune réac­tion.
- Pou­vez-vous rem­bours­er cela?
- Qu’est-ce que c’est?
- Un vélo.
- Je ne vois qu’un papi­er.
- Le vélo est déjà enreg­istré comme bagage. Je l’ai acheté à Madrid, il va en Suisse.
- Vous pou­vez récupér­er la taxe puisqu’il va en Suisse, mais pour cela, il faut que je le voie et que je voie s’il va en Suisse.

- Voici le papi­er qui prou­ve qu’il est enreg­istré pour la Suisse.
- Le papi­er, oui, mais le vélo?

Debod

Avant de se retrou­ver à l’hô­tel pour embar­quer dans le taxi qui nous mèn­era à Bara­jas, nous nous dis­per­sons. Mon­frère nage, Mamère vis­ite un musé, je me promène, je m’assieds, je prof­ite du soleil. Le parc du tem­ple de Debod, sous la place d’Es­pagne, est très ani­mé: un yogi en pan­talons bouf­fants pro­pose aux flâneurs son livre sur la voie de la médi­ta­tion, des Chi­nois vendeurs d’al­cool jouent à cache-cache avec la police, une Espag­nole lit, mais le plus curieux, c’est ce cou­ple de touristes andins. Le tem­ple est un cadeau du gou­verne­ment égyp­tien. Démon­té en Nubie à la con­struc­tion du bar­rage d’As­souan, il a été don­né en 1968. Mas­sif, sans grâce, doté de colonnes, il pour­rait aus­si bien provenir de la jun­gle guaté­maltèque. Son exo­tisme pour des Sud-Améri­cains sem­ble mod­éré, mais non, les deux touristes sont pas­sion­nés. Ils cherchent les meilleurs angles pour pho­togra­phi­er, échangent des con­seils, dis­cu­tent la lumière, l’om­bre, la per­spec­tive. Lui sort du lit, il est en pyja­ma. Quant à la femme, elle n’a pas de forme. Ou peut-être celle d’une bar­rique. Si elle n’est pas sa femme, elle est sa mère: de fait, elle a pris le dessus. Elle ordonne. L’homme recule. Elle le fait reculer, il recule. Qu’il monte sur le talus! Il relève son pyja­ma et monte sur la talus. Mais voilà, il est dans le bran­chage. Il ges­tic­ule, désigne l’ar­bre. La mémère acqui­esce de mau­vais gré. Il revient sur l’e­s­planade. En réal­ité, le cou­ple ne pho­togra­phie pas le tem­ple, il s’en sert comme décor. Lors d’une prochaine soirée, la femme dira: ça, c’est moi devant le tem­ple de Debod. De mon banc, je suis les opéra­tions. Elles durent. Dix min­utes pour un cliché, ce n’est pas com­mun. Or, il y a un bassin der­rière l’homme et suiv­ant les injonc­tions de la femme, il con­tin­ue de reculer. Les talons sont main­tenant à quelques cen­timètres de la margelle du bassin. En 1972, dans les jardins de la mai­son natale de Chopin, à Zela­zowa Wola, notre amie Pia était tombée à l’eau dans les mêmes conditions.