Avant de se retrouver à l’hôtel pour embarquer dans le taxi qui nous mènera à Barajas, nous nous dispersons. Monfrère nage, Mamère visite un musé, je me promène, je m’assieds, je profite du soleil. Le parc du temple de Debod, sous la place d’Espagne, est très animé: un yogi en pantalons bouffants propose aux flâneurs son livre sur la voie de la méditation, des Chinois vendeurs d’alcool jouent à cache-cache avec la police, une Espagnole lit, mais le plus curieux, c’est ce couple de touristes andins. Le temple est un cadeau du gouvernement égyptien. Démonté en Nubie à la construction du barrage d’Assouan, il a été donné en 1968. Massif, sans grâce, doté de colonnes, il pourrait aussi bien provenir de la jungle guatémaltèque. Son exotisme pour des Sud-Américains semble modéré, mais non, les deux touristes sont passionnés. Ils cherchent les meilleurs angles pour photographier, échangent des conseils, discutent la lumière, l’ombre, la perspective. Lui sort du lit, il est en pyjama. Quant à la femme, elle n’a pas de forme. Ou peut-être celle d’une barrique. Si elle n’est pas sa femme, elle est sa mère: de fait, elle a pris le dessus. Elle ordonne. L’homme recule. Elle le fait reculer, il recule. Qu’il monte sur le talus! Il relève son pyjama et monte sur la talus. Mais voilà, il est dans le branchage. Il gesticule, désigne l’arbre. La mémère acquiesce de mauvais gré. Il revient sur l’esplanade. En réalité, le couple ne photographie pas le temple, il s’en sert comme décor. Lors d’une prochaine soirée, la femme dira: ça, c’est moi devant le temple de Debod. De mon banc, je suis les opérations. Elles durent. Dix minutes pour un cliché, ce n’est pas commun. Or, il y a un bassin derrière l’homme et suivant les injonctions de la femme, il continue de reculer. Les talons sont maintenant à quelques centimètres de la margelle du bassin. En 1972, dans les jardins de la maison natale de Chopin, à Zelazowa Wola, notre amie Pia était tombée à l’eau dans les mêmes conditions.