Mois : mai 2015

Ennui

Aus­sitôt levé, je me représente la fin du jour, puis son début, ses dif­férentes heures et leur emploi, et encore la fin du jour, comme si dans un ray­on de bib­lio­thèque il s’agis­sait de gliss­er des vol­umes entre deux serre-livres, le pre­mier décrivant l’ac­tiv­ité du matin, le dernier l’ac­tiv­ité précé­dant le som­meil, cela avant que de ne pas dormir, car, aus­si fatigué puis­sé-je être, une fois au lit, le som­meil me quitte, je l’at­tends trois ou qua­tre heures, médi­tant ce que je ferai le lende­main, du début à la fin, en pas­sant par le milieu, prenant con­science de la fin du jour avant qu’il n’ait com­mencé, con­science qu’il con­vient d’ap­pel­er ennui, ennui que je dois au fait d’avoir depuis quelques semaines con­sid­éré comme achevé ce séjour de deux ans à Fri­bourg, tout se trans­for­mant, de ce fait, en attente.

Profilage 2

Le pro­fi­lage algo­rith­mique n’est que la suite logique de la sous­trac­tion et de l’ad­min­is­tra­tion des prérog­a­tives de l’in­di­vidu réal­isée par l’E­tat au nom de la jus­tice sociale. Mais l’in­stru­ment numérique per­me­t­tant ce pro­fi­lage étant le fait d’ini­tia­tives privées, il servi­ra deux fois: à l’E­tat pour par­faire sa machiner­ie, aux entre­pris­es pour écouler leur offre. 

Montée

Tout à l’heure, de Crans-Mon­tana, je suis mon­té à Cry d’Er à vélo.  La piste de ski est si pentue par endroits qu’il est impos­si­ble de tenir sur la selle, même en réglant le plus petit rap­port: on bas­culerait dans le vide. Je porte, pose sur le replat, enfourche et reprend. Mais l’ef­fort est trop grand pour que l’on puisse prof­iter de la vue sur la plaine du Rhône et les Alpes. Ce n’est qu’une fois au som­met, sur la plate­forme qui sert d’ar­rivée aux télé­cab­ines, que je peux me retourn­er. Vient alors le moment de la descente, que je tente de faire le long de la piste amé­nagée. Mal m’en prend. Elle n’est pas seule­ment façon­née pour guider le cycliste, mais amé­nagée d’ob­sta­cles effrayants,  trous, pier­ri­ers,  goulets, ravines, sauts qui exi­gent une cara­pace de pro­tec­tion, un vélo spé­cial et une forte dose de témérité.
Le soir, je demande à un habi­tant de la sta­tion :
-  Il y a des blessés?
- … bien enten­du. Et peut-être des morts.

Profilage

Cette affaire de pro­fi­lage algo­rith­mique qui, en tant que fac­teur de para­noïa, est l’équiv­a­lent pour les années 1950 de la bombe atom­ique est peut-être une tarte à la crème. Ayant passé mon après.midi à réfléchir aux pos­si­bles con­séquences à moyen terme de l’usage général­isé de ces tech­niques de réduc­tion de la per­son­nal­ité, je le dis sans y croire. De fait, ce ne sont pas tant les analy­ses savantes sur le fonc­tion­nement de ces tech­niques qui me por­tent à anticiper sur leur prég­nance que l’at­ti­tude des jeunes que je fréquente, atti­tude où l’i­den­tité s’en­tend comme une vari­a­tion de l’i­den­tique, où la per­son­nal­ité et le car­ac­tère sont des com­posantes con­struc­tivistes de l’individu.

Femmes et voitures

Deux femmes, l’une dénudée et lan­guis­sante, ficelle entre les fess­es, au sol, fine et douce comme Gala, l’autre con­tre moi, jouant du corps, la fille au pair qui nous gar­dait enfant, Her­ta. Sit­u­a­tion de jouis­sance priv­ilégiée dont je goûte chaque instant, mais qui est bien­tôt inter­rompue par l’idée d’un procès: le mari de Gala sait tout et j’au­rai à répon­dre dès le lende­main matin de mes actes devant un tri­bunal. D’ailleurs, le mari est là, assis sur une chaise de paille, chétif, jaunâtre, bin­ocleux. Qu’il me toise, s’il l’ose, me dis-je. Et de con­clure: il n’y a plus d’hommes. Mais le procès est main­tenu. Il se tien­dra en ville à 11h00. Mon­père et Mon­frère me ras­surent: il y a le temps. Je proteste qu’il est déjà 10h50. Affolé, je vis­ite le park­ing pour trou­ver la voiture de Mamère, mais les breaks sont nom­breux et je ne sais plus sa couleur. Nous trou­vons une autre voiture, dans un garage de sur­face. Je mets le con­tact. La clef tourne à vide. J’ou­vre la capot: il n’y a pas de moteur. Avoir rai­son ou tort dans un procès n’est donc qu’une affaire tech­nique, me dis-je.

Parti de la liberté

Con­tre l’ad­ver­saire, les par­tis font val­oir au débat leur défense de la lib­erté. Or, existe-t-il un par­ti qui promeuve la lib­erté? Un par­ti, quel que soit son posi­tion­nement, aliène la lib­erté de ses mem­bres pour la faire remon­ter au chef. Celui-ci étant in fine celui qui détient le plus grand pou­voir est aus­si, entre tous, le moins libre.

Boulous

Nor­bert déclarant sous le regard appro­ba­teur de sa femme camer­ounaise:
- En France, Mon­sieur vote à droite, Madame à gauche. En Afrique, les Boulous votent pour les Boulous.

Fêtes

De retour de l’é­cole, Aplo m’an­nonce que le 4 juin prochain est un jour férié.
- J’ai demandé à la maîtresse pourquoi. Elle a répon­du que c’é­tait la Fête-Dieu. J’ai cru qu’elle plaisan­tait!
Il a rai­son. Puisqu’il n’y a qu’un culte offi­ciel, le jour férié devrait s’ap­pel­er la Fête-Argent. Car si l’on veut con­tin­uer de mar­quer le cal­en­dri­er de fêtes religieuses dans une société où les reli­gions, par principe innom­brables, relèvent de la sphère privée, il faut aller au bout du raison­nement et abolir les jours tra­vail­lés, cha­cun cor­re­spon­dant à une ou plusieurs fêtes.

Vie

Ah, que ne suis-je né dans les années 1960 pour mourir tran­quille­ment dans les années 2000?

Plat du jour

Ils man­gent de la saloperie, lais­sent un pour­boire à la serveuse et quand elle leur demande par politesse s’ils ont bien mangé, ils répon­dent poli­ment: c’é­tait excel­lent votre saloperie.