Hier au théâtre, ce qui, heureusement, ne m’était plus arrivé depuis dix ans. Après avoir ressenti la plus vive inquiétude à l’annonce que la pièce durerait deux heures, je me suis diverti. A la sortie des acteurs, je salue Jacques Roman dont le jeu était excellent et j’évite Nicolas Rossier, vu pour la dernière fois il y a trente-six ans; nous nous étions alors battus à coups de poings.
Mois : avril 2015
Progrès
Personne ne semble s’alarmer de ce que les gouvernements européens sont passés en quelques mois, sous couvert de la loi anti-terroriste, de l’arrestation de responsables d’attentats (et déjà, en raison du secret d’enquête, le fondement de l’inculpation était invérifiable) à l’appréhension de “présumés terroristes”.
Etranger
Jamais je ne m’étais senti aussi étranger. Hasard peut-être, la dernière fois que j’ai fait pareille expérience, c’était dans cette même ville de Fribourg, en 1981. Elève de Saint-Michel, je vivais alors à Givisiez. Quatre fois par jour, je longeais la rue du Jura pour gagner au centre-ville le collège. Ce couloir marquait la séparation entre deux univers: celui de la famille, logée dans une maison mitoyenne sans qualités, et celui de la Suisse, ici réduite à un lieu entre tous détesté, le collège et ses classes de garçons crasseux, dont la mienne, fréquentée par des adolescents au caractère simple qui, la plupart, à l’age de seize ans, n’étaient pas allés jusqu’à Berne ou Lausanne. J’arrivais pour ma part de Madrid et d’Helsinki et ce régime obscur fait de routine et de bêtise, caractéristique d’une mentalité de bourg, m’apparaissait, aidé par le tragique qu’apporte l’émotion au sortir de l’enfance, comme un cauchemar. C’est ainsi que je m’étonne ces jours de me retrouvé, dans une situation et à un âge tout différents, le même sentiment d’ennui et de pesanteur que je ne puis qualifier autrement qu’en écrivant: je ne m’étais jamais senti aussi étranger.
Bungalow 3
Tout à l’heure, à la boxe, dans la salle basse, travaillant les crochets avec les autres élèves, lorsque fait irruption, une feuille à la main qu’il me la met sous le nez, le directeur du club.
- Signe ici, tu es exclu!
Je crois à une plaisanterie et reprend l’entraînement. Il me file le train, insiste. Je lui tourne le dos, il fait interrompre les exercices et m’oblige à sortir de la salle. Je me saisis de la feuille. Quelques lignes manuscrites expliquent que je donne mon accord à l’exclusion dont je fais l’objet. Raison alléguée? Aucune. Je m’enquiers. Le directeur ne répond pas. Je veux rejoindre l’entraînement, il m’en empêche. Je le traite de fou. Il me ramène dans les vestiaires, m’interdit de prendre une douche, se tient à mon côté tandis que je me rhabille. A force d’exiger un motif, j’obtiens ceci:
- Tu manques de respect.
Quelques minutes plus tard, je me tiens devant la porte qui ouvre sur la rue où j’énumère les erreurs qui viennent d’être commises: arbitraire, intimidation, vexation. Ainsi, il m’est facile de faire valoir auprès de cet excité que si je sors, je n’aurai de cesse d’employer tous les moyens à ma disposition pour l’amener à résipiscence. Outré par ces menaces qui ne sont pourtant que formelles, le directeur me pousse dans la rue.
Bungalow 2
Suite à l’incident du véhicule volé au camping de Venise, Aplo est convoqué par le directeur du club de sports. Il est lui est demandé d’apporter une lettre d’excuse. Je l’en dispense. Expliquer et punir, soit, mais il y a des limites. S’il est convoqué (ce qui est déjà une usurpation du rôle du père), pourquoi faut-il en plus qu’il remette une excuse écrite?
Plus tard dans la soirée, il me raconte que l’entraîneur de boxe les a fait, lui et ses camarades fautifs, monter et descendre des escaliers pendant une heure, puis que le directeur les a sermonné pendant une autre heure. Qu’a-t-il bien pu leur dire pendant ce temps? Les autres gamins ont remis leur lettre et, comme si cela ne suffisait pas, les ayant morigénés, le directeur a exigé la rédaction d’une seconde lettre, à l’intention du directeur du camping celle-ci. J’en dispense Aplo. Ce directeur a‑t-il une vie si routinière qu’un événement anodin l’oblige à tant de simagrées? Nous vivons parmi les fous: plus le problème est grave, moins il est traité — et inversement.
Diplomatie
Qui aime la société et veut réussir, sera dur en affaires et intraitable quant à son intérêt. Il fera croire aux mous qu’ils ne le sont pas et aux durs qu’ils le sont. Qui se défie de la société et ne craint pas d’être seul, sera dur avec lui-même et indifférent à son intérêt. Il dira aux mous qu’ils le sont et aux durs qu’ils le sont pas.
Fatigue
Je suis fatigué, pas intéressé. Pas intéressé car fatigué. Ce qui se présente, la configuration des rues, l’ordre des besoins et les rencontres qui rythment le jour, professionnelles ou de loisir, m’apparaissent comme autant d’obstacles sur le chemin du retour à soi et cependant, ce retour à soi, n’annonce rien qu’une plus grande exposition à la fatigue.
Photos de Soria
Tout-à-l’heure, il me vient à l’esprit que j’ai dû faire des photos durant l’été 1990. Ainsi, il me suffirait pour confronter les personnages et les lieux évoqués de mémoire dans Ecriture. Bière. Combat. à leurs modèles de retrouver ces clichés. Sitôt dit, sitôt fait: je trie plus d’une milliers de photographies papier. Je ne les trouve pas. En revanche, et c’est la première fois que j’ai cette impression, toute une vie défile devant mes yeux.
EBC
Hier, je rencontre Valérie qui publiera en septembre Ecriture. Bière. Combat. Ce matin, je reçois de Paris la couverture de Fordetroit. Ce titre que le comité de lecture voulait changer est maintenu. Je remercie et annonce par courrier retour la parution en Suisse d’Ecriture. Bière. Combat. Réaction immédiate qui me prend au dépourvu: comment? et vous me le dites maintenant? Puis l’éditeur français me prend par les sentiments: avec toutes les démarches que nous entreprenons ces jours pour présenter Fordetroit à la presse, il serait dommageable qu’une autre livre… Il me prie alors de différer la parution de six mois. Dans ces affaires, je suis ignorant; j’écris et je me réjouis.