Jamais je ne m’étais senti aussi étranger. Hasard peut-être, la dernière fois que j’ai fait pareille expérience, c’était dans cette même ville de Fribourg, en 1981. Elève de Saint-Michel, je vivais alors à Givisiez. Quatre fois par jour, je longeais la rue du Jura pour gagner au centre-ville le collège. Ce couloir marquait la séparation entre deux univers: celui de la famille, logée dans une maison mitoyenne sans qualités, et celui de la Suisse, ici réduite à un lieu entre tous détesté, le collège et ses classes de garçons crasseux, dont la mienne, fréquentée par des adolescents au caractère simple qui, la plupart, à l’age de seize ans, n’étaient pas allés jusqu’à Berne ou Lausanne. J’arrivais pour ma part de Madrid et d’Helsinki et ce régime obscur fait de routine et de bêtise, caractéristique d’une mentalité de bourg, m’apparaissait, aidé par le tragique qu’apporte l’émotion au sortir de l’enfance, comme un cauchemar. C’est ainsi que je m’étonne ces jours de me retrouvé, dans une situation et à un âge tout différents, le même sentiment d’ennui et de pesanteur que je ne puis qualifier autrement qu’en écrivant: je ne m’étais jamais senti aussi étranger.