Entraînement de boxe dans le gymnase en plein air de Ban Phra. La veille, j’avais expliqué que je souhaitais surtout améliorer la technique poings, mais c’était oublier que les mouvements de jambes dans le Muay thaï sont différents et me voici donc à faire des aller-retour entre deux poteaux, passant la tête d’un côté et de l’autre d’une ficelle sous l’œil vigilant des champions locaux qui, sans prendre garde qu’ils mesurent vingt centimètres de moins, ont placé la ficelle à la hauteur habituelle. J’ajoute qu’il fait 32 degrés. Nous passons ensuite sur le ring. Entre chaque exercice, l’entraîneur impose deux minutes de pause pendant lesquels je perds un demi-litre d’eau. Cependant son assistant me masse le dos, les épaules, les bras, me fait boire et relance. Bien décidé à revenir avant la fin de l’année pour un stage de deux semaines.
Mois : mars 2015
Attraction
De retour de la gare routière où je suis allé acheter mon billet pour Bangkok, je gare mon vélo contre un parc d’engins installé par le département municipal des sports. Quelques femmes pédalent sur des vélos statiques ou tirent sur des machines à ramer ne plein air côté ombre. Avant même de commencer les exercices, je suis détrempé. Or, pour ne pas gêner ni devenir une attraction, je me place côté soleil. Au bout de quelques minutes mes habits sont à ce point détrempés qu’on voit ma figure à travers eux, mais de plus je sui,s et aussi longtemps que je serai dans le parc demeurerai, une attraction.
Coupe royale
Chez le coiffeur. Voilà une expérience qui mériterait d’être répétée dans chaque pays que l’on traverse. Quelque chose du caractère national s’exprime dans le geste du personnel, l’attitude des clients, le décor des locaux, l’ordre de la cérémonie. Le sièges sont occupés quand j’entre. Je prends place sur un banc de bois. Appeler cela un salon serait superfétatoire. Nous sommes proches de l’étable ou du garage. Voici la description: une moto garée sur la droite, un horloge de plastique rose accrochée au mur, l’heure est arrêtée, sous les meubles de contreplaqué, tous de guingois, le carrelage est souillé comme le seraient les parois d’une porcherie. Quant au sol, il est irrégulier. Il y a aussi des peintures, elles sont de différentes couleurs et par aplats, indiquant dirais-je, les différentes périodes d’intervention, car à n’en pas douter, le salon date de la dernière guerre. D’ailleurs le coiffeur qui me fait asseoir, maintenant que c’est mon tour, doit approcher les 70 ans. Il a le rire jaune. Une fine moustache. Un paquet de rides et des gestes onctueux. Il est visiblement heureux de pratiquer ce métier. S’il priait, il n’agirait pas avec plus de concentration. Pas un mot d’échangé : je pose un doigt sur les cheveux courts, côté oreille, un autre sur les cheveux longs, au sommet de la tête et donne les intervalles. Il opine du chef et se met au travail. Dix minutes plus tard, le résultat: impeccable. Entre temps, j’ai admiré les objets amoncelés sur le meuble de miroir: peignes édentés, ciseaux tavelés de rouille, brosses chauves, couteaux sans manches… Un autel fleuri, alimenté du jour et partout la photo du roi. Maintenant que j’ai dit ma satisfaction, le coiffeur rassurée s’occupe des finitions. Il casse une lame Gilette et la sertit dans un vieux couteau. D’une pression de la paume, il m’oblige à pencher la tête et rase dans l’ordre les pattes, les poils du nez, le contour des oreilles, tout cela en agitant avec dextérité son couteau à quelques millimètres de la prunelle de mes yeux. Pendant l’exercice, je songe que ce pays doit à tout prix éviter le démocratie. Qu’on ne peut raisonnablement souhaiter plus grand cauchemar à son peuple. Que les militaires protègent le roi, que le roi défendent les thaïs, que le peuple honore les dieux et le roi. Long live the king, comme dit le slogan. Plus particulièrement ces jours, où il se murmure en coulisses, que le monarque est mort et que les militaires reculent le moment de l’annonce afin de préparer la succession et éviter que les nouveaux riches qui depuis des années tentent de faire main basse sur le pouvoir ne profitent de l’occasion pour atteindre leurs fins.
Trat
A Trat, dans le quartier de Ban Phra, le long de cette rivière qui servait de voie de commerce entre les thaïs et les chinois au dix-neuvième, les premiers livrant des noix de cocos, les seconds apportant de la céramique et des produits manufacturés. J’y suis venu il y a cinq ans, ignorant alors l’histoire du lieu, mais elle conforte la sympathie que j’avais aussitôt éprouvé pour ces petites rues aux échoppes de bois qui rappellent l’unité des villages et l’atmosphère familiale qu’on imagine propre aux époques de tradition. Pour varier les plaisirs, je m’installe dans le meilleur hôtel du coin, d’ailleurs achevé de fraîche date. Il ne compte que quatre chambres, mais leur tenue n’a rien à envier au Hilton. Et à la différence du grand établissement, un pas pour atteindre l’épicerie, un autre pour sauter sur son vélo et aller manger au marché. Le soir, promenade sur l’estuaire du fleuve flanqué de gargotes. Pas un touriste. Ceux qui sont de passage ne retiennent de la rue principale, ingrate, que la laideur. C’est bien ainsi. J’imagine une projet de boulangerie dans cette ville.
Adieux
Ce matin, je retourne sur le continent. Pierre-Yves est sur le ponton avec l’Allemande. Il m’aide, me tend mon sac (qui pèse comme au premier jour, un kilo) et avec une générosité touchante, me fait des signes jusqu’au moment où le bateau ayant manœuvré pour placer la poupe en direction, se met en mouvement.