Chez le coiffeur. Voilà une expérience qui mériterait d’être répétée dans chaque pays que l’on traverse. Quelque chose du caractère national s’exprime dans le geste du personnel, l’attitude des clients, le décor des locaux, l’ordre de la cérémonie. Le sièges sont occupés quand j’entre. Je prends place sur un banc de bois. Appeler cela un salon serait superfétatoire. Nous sommes proches de l’étable ou du garage. Voici la description: une moto garée sur la droite, un horloge de plastique rose accrochée au mur, l’heure est arrêtée, sous les meubles de contreplaqué, tous de guingois, le carrelage est souillé comme le seraient les parois d’une porcherie. Quant au sol, il est irrégulier. Il y a aussi des peintures, elles sont de différentes couleurs et par aplats, indiquant dirais-je, les différentes périodes d’intervention, car à n’en pas douter, le salon date de la dernière guerre. D’ailleurs le coiffeur qui me fait asseoir, maintenant que c’est mon tour, doit approcher les 70 ans. Il a le rire jaune. Une fine moustache. Un paquet de rides et des gestes onctueux. Il est visiblement heureux de pratiquer ce métier. S’il priait, il n’agirait pas avec plus de concentration. Pas un mot d’échangé : je pose un doigt sur les cheveux courts, côté oreille, un autre sur les cheveux longs, au sommet de la tête et donne les intervalles. Il opine du chef et se met au travail. Dix minutes plus tard, le résultat: impeccable. Entre temps, j’ai admiré les objets amoncelés sur le meuble de miroir: peignes édentés, ciseaux tavelés de rouille, brosses chauves, couteaux sans manches… Un autel fleuri, alimenté du jour et partout la photo du roi. Maintenant que j’ai dit ma satisfaction, le coiffeur rassurée s’occupe des finitions. Il casse une lame Gilette et la sertit dans un vieux couteau. D’une pression de la paume, il m’oblige à pencher la tête et rase dans l’ordre les pattes, les poils du nez, le contour des oreilles, tout cela en agitant avec dextérité son couteau à quelques millimètres de la prunelle de mes yeux. Pendant l’exercice, je songe que ce pays doit à tout prix éviter le démocratie. Qu’on ne peut raisonnablement souhaiter plus grand cauchemar à son peuple. Que les militaires protègent le roi, que le roi défendent les thaïs, que le peuple honore les dieux et le roi. Long live the king, comme dit le slogan. Plus particulièrement ces jours, où il se murmure en coulisses, que le monarque est mort et que les militaires reculent le moment de l’annonce afin de préparer la succession et éviter que les nouveaux riches qui depuis des années tentent de faire main basse sur le pouvoir ne profitent de l’occasion pour atteindre leurs fins.