Mois : mars 2015

Caliste

- J’é­tais déprimé et j’ai lu cinquante pages de ton livre, me dit Cal­iste, vingt-deux ans; ensuite, ça allait beau­coup mieux.

Enjeu

Com­bat avec le gar­di­en de prison. Affa­ble, doux, cau­sant. Dès que nous tapons les gants, il change d’at­ti­tude. Con­cen­tré, il attaque. Il m’ac­cule dans un coin de la salle et je ramasse. Chaque coup rap­pelle qu’il est con­fron­té au quo­ti­di­en à des voy­ous. Là où l’en­jeu est pour moi sym­bol­ique, il est pour lui réel. Degré d’en­gage­ment est incomparable.

Revenir

C’est un bon­heur de par­tir et un bon­heur de revenir: on est bien chez soi. Et ain­si donc, je pars et revient.

Ecrivain

Litote qui exprime au mieux mon sen­ti­ment: le grand écrivain est celui qui ne dit rien.

Enfants

Du bal­con, où je bois un jus d’o­r­ange au soleil, j’en­tends un enfant qui appelle son cama­rade lequel l’a devancé sur le chemin des écoles.
- Attends!
L’autre se retourne, le recon­naît, s’im­mo­bilise.
Alors le pre­mier, tout en courant:
- Attends! Attends! Attends!
Et arrivé à la hau­teur du cama­rade:
- Attends une minute, j’arrive!

Cloches de Fribourg

Fri­bourg, le Guintzet, 22h17. Les cloches de Saint-Michel son­nent à toute volée dans l’air doux du pre­mier print­emps. Igno­rant des cloches et des rites, je m’é­tonne de ce beau bruit comme de son inter­rup­tion subite après quelque minutes.

Dates et heures

Je flâne dans Ram­but­tri quand d’une ter­rasse me hèlent les trois Ital­i­ennes ren­con­trées dans le car Trat-Bangkok. Elles m’in­ter­ro­gent sur mon départ. J’an­nonce que mon avion est pour le lende­main, que j’ai dû réserv­er une nuit de plus. Elles me font remar­quer mon erreur, mon vol est ce même soir. Il y a des ren­con­tres providentielles.

Hommes bleus

Khao San, Bangkok, la rue où rien n’étonne per­son­ne. Promenez-vous avec une casse­role sur a tête, nul ne se retourn­era. Or, un cou­ple pro­duit la stupé­fac­tion. Je suis choqué. Jusqu’au bassin, tous deux sem­blent avoir été trem­pés dans un pot d’en­cre. Leurs jambes sont uni­for­mé­ment bleues. Au-delà, la peau est com­plète­ment tatouée, mais dépourvue de motifs. Le vis­age et une par­tie du crâne sont égale­ment bleus mais striés d’é­clair rouges, jaunes et noirs for­mant un chaos. Plus une cen­timètre de peau naturelle nulle part. Le garçon, lui, à la moitié de la tête rasée et tatouée. La fille a les cheveux relevés et les tach­es d’en­cre remon­tent au-dessus des oreilles. Leurs yeux sont trafiqués au moyen de lentilles de con­tact. Ils sont jaunes et rouges. Ils vont pieds nus, comme des lézards qui tiendraient sur les pattes arrière. L’ef­froi se lit sur les vis­ages des pas­sants. Rap­port au corps, jamais il ne m’avait été don­né de voir acte aus­si fou. Hier encore, revenant sur mon éton­nement, je songeais aux par­ents de la fille. A leur dés­espoir. Et bien enten­du à l’avenir impos­si­ble de ces deux bêtes de foire.

Complexes

Le catholique n’a pas de com­plexe — il les trans­met au curé curé et celui-ci les fait dis­paraître. Pour le protes­tant, il les a dis­cuté avec Dieu, lequel les lui a mis à charge.

Massage

Et après la boxe, une heureuse idée: le mas­sage. Dans une petite bou­tique proche du marché tra­vail­lent trois femmes. Quand je pousse la porte, un thaï est couché sur la table. Je me change der­rière un rideau. Il a déposé en vrac une liasse de bil­lets de banque, ses clefs de voiture et ses cartes. Mer­veille que ce règne général de la con­fi­ance. Les pre­mières pres­sion qu’ex­erce la masseuse me sont con­nues. je suis couché sur le dos, elle tra­vaille les mus­cles des chevilles et des jambes. J’ob­serve le pla­fond. Il est en dami­er. Dans cha­cune des cas­es, sus­pendu à un cro­chet, un anneau. Drôle de déco­ra­tion, me dis-je. Éreinte par l’en­traîne­ment de boxe, je ferme alors les yeux. Une pres­sion plus forte que les autres me les rou­vre. La masseuse est debout sur moi, un pied en équili­bre sur chaque cuisse. Elle se tient aux anneaux par un chif­fon noué et se dan­dine faisant ain­si pass­er la pres­sion d’un côté à l’autre. La séance ne fait que com­mencer. Elle sera pra­tiquée entière­ment debout. Et dur­era une heure et demie. Par moment, la douleur liée aux pres­sions est si forte que je crains qu’un os ne se brise. Et je ne cesse de me pos­er cette ques­tion, source de curiosité plus que  d’in­quié­tude: qu’en est-il du rap­port de poids? La masseuse sait-elle mon poids? Si j’é­tais frag­ile? Elle pèse 60 kilos, j’en pèse 74. A la fin, sa col­lègue me verse un thé au gin­gem­bre et arrache une petite banane d’une régime. Com­ment je me sens? Par­faite­ment bien. (Trois jours plus tard, à Bamglam­phoo, lorsque Sang me prodigue le mas­sage habituel, je dois cepen­dant lui deman­der de réduire la pres­sion, les mus­cles étant encore douloureux).