Mois : mars 2015

Principe de non-contradiction

Elle prô­nait l’ou­ver­ture, elle se per­me­t­tait donc d’avoir l’e­sprit étroit.

Personnages de Wey

Com­bi­en de touristes à demeure de ce côté de l’île? Une trentaine? Par­mi lesquels des per­son­nages. Un Irlandais à barbe de père Noël. Vous ne pou­vez le ren­con­tr­er sans qu’il fasse de l’e­sprit. Il est petit, dodu et porte la toge. Sa femme trot­tine. Elle des airs de Miss Marple à l’heure du thé. Lorsque je me promène sur le sen­tier foresti­er qui sur­plombe la mer, je les aperçois au large, seul au milieu des eaux, nageant de front avec ravisse­ment. Crank occupe à lui seul une crique proche de celle où  réside le cou­ple. Une jour je le croise dans la forêt. Que fait-il toute la journée?
- Je me suis fait livr­er une gui­tare.
- Tu joues?
- Je grat­te. Jouer, je ne sais pas. Mais je me suis juré d’ap­pren­dre. Elle était stock­ée à Trat. Peut-être qu’elle  a pris l’hu­mid­ité.
Il sem­ble nerveux. De la sueur per­le sur son front. Bien enten­du, de la sueur per­le sur les fronts de tous les vis­i­teurs. Au moin­dre geste, on sue. Mais Crank ne sue pas seule­ment parce qu’il a chaud; quelque chose le chi­cane. Des prob­lèmes blo­qués dans le corps don­nent des coups. Puis il y a Tikky. Une com­pa­tri­ote. Hol­landaise, elle aus­si. Un vis­age tail­lé au burin. Elle n’est pas tan­née, elle est noire de soleil. Elle est riante. Vul­gaire et drôle. Au milieu de la con­ver­sa­tion, elle vous explique com­ment elle a lavé ses culottes, ce qu’il lui en a coûté, com­ment elle s’est placée sous l’ar­bre, quelle quan­tité de savon elle a util­isé. Un autre fois, elle compte à haute voix le nom­bre de fois où elle est allée piss­er durant la mat­inée (les toi­lettes sont à cent-cinquante mètres, au pied de la forêt). Pour le reste, elle s’a­muse de tout. Elle plonge et cueille des pois­sons, avale des salades de fruit, donne des con­seils pour organ­is­er la vie à Wey. Ensuite, il y a Pierre-Yves. L’air d’un indi­en d’A­ma­zonie, il est Français, natif des lan­des et porte son unique T‑shirt. Dans son sac à dos, une pirogue gon­flable. Il nav­igue sur les eaux scin­til­lantes le sourire aux lèvres. Sa con­ver­sa­tion est agréable, son car­ac­tère naturelle­ment mod­este, ver­tu rare. Chaque jour, il répète:
- Ici, je ne fais pas le malin. Quand je vois ce que vous savez, tous! C’est à se deman­der ce que j’ai fait de ma vie.
Puis il énumère tout ce qu’il fait et con­clut:
- Tu vois, pas grand-chose…
Un jour, je lui demande son méti­er. Je ne suis pas cer­tain de saisir:
- Con­duc­teur d’ar­gent?
Je m’é­tonne. Il est mus­clé, mais paraît trop doux pour assumer cette respon­s­abil­ité. Je ne le vois pas se cra­pahuter avec une mal­lette bour­rée de bil­lets attachée au poignet par une paire de menottes. En fait, son accent gas­con m’a induit en erreur: il est con­duc­teur d’en­gin. Et sur le ton de l’év­i­dence, il ajoute:
- Mes copains me deman­dent com­ment je fais pour par­tir tout le temps. Eux ils cherchent du tra­vail. Ils n’en trou­vent pas. Ils achè­tent des écrans plats et des voitures, enfin, toutes ces choses. Et il faut voir leurs apparte­ments! Cinquante mètres, cent mètres! Moi, dès que je ren­tre, je tra­vaille. Il suf­fit de vouloir.
Et juste après, comme nous par­lons de mal­adie, il explique sur un ton absol­u­ment dégagé, les affres de souf­france par lesquels il est passé, un can­cer:
- For­cé­ment, à force d’être assis, dans cette posi­tion, à manœu­vr­er des grues…
Enfin, il y a l’Alle­mande. Une habituée. D’ailleurs, elle est la seule à par­ler le thaï. Physique­ment, morale­ment, elle est Alle­mande, et de Stuttgart, c’est-à-dire, rob­o­ra­tive, déter­minée, végé­tari­enne, alter­na­tive, argen­tée, tra­vailleuse, calme, rigoureuse, dure, con­va­in­cue. Et ces per­son­nages, se croisent dix ou quinze fois par jour, ce qui implique tout un savoir-faire.

Parler

Durant ce séjour, j’au­rai appris à ne pas par­ler. L’ap­pren­tis­sage a débuté il y a des années. Mais je n’avais jamais fait pareil pro­grès. Je m’en réjouis. Je m’en désole. La parole est l’acte humain par excel­lence. Celui qui crée, relie, fonde, pré­pare. Mais de la façon dont évolu­ent les choses…

Fin

A cer­tain moments, j’en­trevois la fin de ma vie. Une posi­tion dans le temps et l’e­space, accom­pa­g­née de sen­sa­tions et de sen­ti­ments, définie par une grande immo­bil­ité. Cela me ras­sure. Le chemin qui y con­duit devient chemin.

Distance

Cer­tains voyageurs pensent que le fait de se ren­dre dans un pays étranger leur per­me­t­tra de se tenir à dis­tance de leurs prob­lèmes. Jamais cela ne m’est apparu vrai. Ni dans l’or­dre intime ni dans l’or­dre de la société.

Poissons-zèbres

Levé après dix heures de som­meil, j’en­tre dans la mer. Aus­sitôt, je suis entouré de cent pois­sons. Ce devait être ain­si avant que la nature ne cède à l’homme.

Football

Per­ver­sion de ce jeu, le foot, désor­mais imbé­cile. Les enfants du monde entier por­tent des mail­lots de joueur qui font con­naître le nom des pays qui ont acheté les clubs, pays qui prô­nent le total­i­tarisme, l’esclavagisme, la reli­gion et la torture.

Ile

Ile de Wey. Trois ans­es de sable blanc, des eaux turquois­es, un lit de bois dans une cabane sur pilo­tis. A l’hori­zon, des îlots verts. Des bancs de pois­son qui filent lorsqu’on entre dans la mer et deux familles pos­sédées par le génie de la cuisine.

Wey

Ile de Wey. Trois ans­es de sable blanc, des eaux turquois­es, un lit de bois dans une cabane sur pilo­tis. A l’hori­zon, des îlots posés sur l’hori­zon comme des cha­peaux. Des bancs de pois­son filent lorsqu’on entre dans la mer.

Programme de la journée

Instal­lé depuis trois jours dans une cabane. Le pro­gramme de la journée: au réveil, marcher jusqu’à la mer et nag­er. Ensuite, déje­uner d’œufs et de toasts, de fruits et de yoghourt, de café. Ecrire et lire. Autour de midi, pren­dre ses dis­tances: des groupes de vis­i­teurs chi­nois et russ­es sont débar­qués de bateaux rapi­des pour des par­ties de pique-nique. Au plus fort de la chaleur, faire la sieste. A dix-sept heures, sport: étire­ments, force, enchaîne­ments de Krav-Maga. Enfin, au couch­er de soleil, ren­dez-vous sur le pon­ton pour pren­dre l’apéri­tif puis dis­cuter de l’ar­rivage de pois­son afin de savoir chez quelle famille pren­dre le repas du soir.