Et il a continué de neiger. Le personnel de l’hôtel que la direction a dû avertir de notre fidélité nous a donné la vaste chambre sur le jardin que nous occupions il y a deux ans. De la fenêtre, nous voyons peu à peu disparaître les tables et les chaises, les haies et les lampadaires. Dans la rue, c’est autre chose: le vent fouette le visage, les flocons tourbillonnent, les rares passants se pressent contre les murs. En revanche, les rues commerçantes proches de la cathédrale font le plein. Ce sont les soldes et les gens se précipitent. Vite las, je laisse Gala à ses visites, mais découvre qu’il n’y a nulle part où se tenir. Dans l’entrée des magasins, vous êtes bousculés, sur les trottoirs, vous êtes emporté par le flot. Je me résigne à camper au point d’accès, lesquels sont ventilés d’air chaud, mais là encore il me faut danser sur pied pour défendre ma place. Pour patienter, j’arpente les cinq étages d’un magasin de sport. Je cherche des patins à roulettes. Or il n’y a que des skis, des chaussures de ski et des bâtons de ski. Ainsi que des luges empilées jusqu’au ciel — de loin on croirait un bûcher — de beaux modèles en bois avec semelles de métal et lanières de corde, et, comme s’ils voyaient pour la première fois de la neige, tous les pères et mères de famille munichois repartent avec une ou deux luges. Un peu plus tard, près du marché aux victuailles, Gala me précède dans la visite d’un magasin de façade sombre qui n’expose aucune marchandise. Pas une boutique n’est-ce pas, un magasin de grande taille offrant plusieurs niveaux. Conçu comme un grotte aux merveilles, plongé dans un nuit étudiée qu’éclairent de minuscules lampes jaunes placées au-dessus des articles lesquels sont exposés sur des étagères de plusieurs mètres qui butent contre des plafonds peints, vestiges probables d’une ancienne salle de fête princière, le magasin est parcouru de vendeurs anormalement grands, fille et garçons maquillés, outranciers, vampiriques, tirés j’imagine d’un clip vidéo. A Gala qui s’écrie: ” magnifique!”, je rétorque: “je sors”. Car une nausée m’a saisi. L’échange humain-marchandises (il ne s’agit nullement de faire une théorie) est ici à son comble. Par de subtiles jeux de clair-obscur, les regards du chaland sont dirigés sur les produits et quand il cherche un humain, c’est encore un produit qu’il trouve. De retour à l’Odéonplatz, nous prenons un thé dans un salon sauvé des temps (de fait, la carte des pâtisseries m’apprend qu’il a été créé en 1928) où une quarantaine de tables rondes aux nappes empesées sont desservies par un personnel aussi attentionné que pléthorique. Sur notre gauche un couple de vieillards habillés avec soin composent leurs meilleurs visages pour accueillir leurs amis. Et en effet ceux-ci finissent par arriver, et arrivant, ils ralentissent le pas, sourient, font durer le plaisir des retrouvailles. Le soir venu, après une sieste et un temps pour le sport, dans ce restaurant italien de Münchener Freiheit où nous avons déjà dîné, nous aurons — comme par la suite, pendant tout la durée du séjour, chaque fois qu’il s’agira de manger sans faire valoir une réservation — la plus grande peine à obtenir une table. Les munichois sortent, fêtent, et boivent et mangent, voilà qui est rassurant!