En route pour Silleda. Pourquoi Silleda? Parce qu’il y a un hôtel. Quoi d’autre? A première vue, des monts, une industrie agonisante, des villages tassés. Nous avons procédé ainsi: la camionnette doit être rendue à Madrid dans huit jours et il s’agit de rouler moins de deux heures par jour. Pourquoi Silleda plutôt qu’une autre bourg? Parce que renseignements pris, ce bourg offre un cinq étoiles. Pour l’instant, il est quinze heures et nous avons faim. Les enfants jouent à l’arrière, maman est assise seule sur la seconde banquette, Monfrère conduit, je guette les restaurants. En voilà un. Sur le bord de la route, flanqué d’une trentaine de voitures. En terrasse, sept gamins chinois et un blanc. La déduction est évidente: c’est un mariage. D’autant plus que nous sommes samedi. J’entre, je demande une table pour six. Erreur, c’est un restaurant, nous sommes samedi, les Galiciens déjeunent. Nous voici dans une vaste salle à manger. Plat unique, de la viande. Mouton, porc, boeuf, chorizo cuits au feu. La parrillada. Plus d’un kilo de viande par personne. Et nous avons les trois enfants. Le serveur apporte des frites et des plateaux de salade verte. Aux tables les gens parlent, s’embrassent, rient et mangent. Ils mangent avec un plaisir contagieux. Et ne cessent de commander. De nouveaux plats de viandes paraissent. Levez le petit doigt, le serveur rapporte aussitôt de la viande, des frites ou de la salade. Je m’approche des cuisines. Une toque sur la tête, un pic à la main, le maître des viandes grille ses morceaux sur une plaque de deux mètres tandis que son collègue jette du bois dans les flammes. Puis nous repartons en campagne et nous nous perdons. La route devient chemin, le chemin s’efface. Nous jurerions pourtant avoir vu un panneau indiquant notre hôtel. Le constat s’impose:
- Un cinq étoiles dans un endroit pareil, c’est impensable!
Soudain la route s’interrompt. Je saute à terre. Devant moi, un portique de pierre surmonté d’une croix, dans la cour, un coffre de pierre sur jambages qui ressemble à un tombeau romain: peut-être une ancienne remise à grains. Nous sommes en Espagne, nous sommes au bout du monde. Un chien aboie. Une seconde plus tard, il est sur mes talons. Monfrère donne le tour, nous regagnons la route nationale par les forêts. Une heure plus tard nous découvrons l’hôtel: le Via Argentum. Juché sur une colline, c’est un bâtiment neuf en marbre. Alentour, le village est encore traversé par les ânes et les coqs; dans les étages de l’établissement, tout n’est que design, matériaux et cuir noble. Après un entraînement de Krav Maga, nous laissons les enfants à la piscine et partons courir. Nous voyons ce que c’est: à quelques mètres, derrière des monticules de terre formés à l”occasion du chantier (un vieillard solitaire muni d’un fouet promène son chien), voici les pavillons de la Foire internationale de Galice. Un kilomètre de long, cinq cent de larges. Clôtures, toits, halles, coursives, guichets, escaliers mussoliniens donnant sur des esplanades et des rues. Le tout, abandonné.