Mois : septembre 2014

Ping-pong

Au jardin, les enfants jouent au ping-pong. Ils imi­tent les ahane­ments des cham­pi­ons de ten­nis. Les uns après les autres les voisins parais­sent aux fenêtres pour véri­fi­er qu’un cou­ple ne fait pas l’amour là, sous leur nez.

Verbanne

Instal­lé sur une ter­rasse de Ver­banne avec Mon­a­mi. Nous sommes face à son mag­a­sin de caviar. Un bon client pousse la porte, il  rejoint le mag­a­sin au pas de course, revient, repart. A la table voi­sine, des ado­les­cents vêtus et coif­fés qui par­lent golf. Dans le gira­toire, un bal­let de voitures coû­teuses et des cou­ples qui ont assisté aux Nation­al Mas­ters. Je bois des can­nettes et adress­es des mes­sages à Tatlin. Elle est à Ham­bourg, dans le quarti­er de St-Pauli, à la recherche du trans­sex­uel qui fut le grand amour de son oncle récem­ment dis­paru. Je lui décris la sta­tion. Puis Mon­a­mi ferme son mag­a­sin et nous regagnons sa mai­son sur le lac. Plus tard, à l’heure de l’apéri­tif, arrive sa cou­sine. Elle tourne autour de la table, nous présente son fils, un garçon de douze ans, calme, droit, sérieux, et annonce qu’elle part pour la Bel­gique.
- Nous par­tons pour ouvrir nos cœurs. 
- Et que vas-tu faire là-bas?
- Je ne sais pas encore, mais le Seigneur m’aidera.
Est-ce qu’elle plaisante?
- Tu pars quand?
- Là, tout de suite.. je passe juste dire au revoir.
- La route est longue?
- A qui égrène son chapelet la route n’est jamais longue. 
Puis elle embrasse tout le monde et sort. Je m’é­tonne. Mon­a­mi rap­pelle :
- C’é­tait pire avant! Tu ne te sou­viens plus? A l’époque, lorsque nous organ­i­sions des soirées, elle courait der­rière les invités une bible à la main!

Olofso

En 1991, quand j’ai con­nu Olof­so à l’oc­ca­sion d’une soirée dans une vil­la de la cam­pagne genevoise, j’ai mal­adroite­ment ren­ver­sé le cire d’une bougie sur sa robe. Nous somme sor­tis ensem­ble, nous avons voy­agé, nous avons vécu douze ans sous le même toit et nous avons eu deux enfants. L’autre jour, ne me dit-elle pas: je me sou­viens par­faite­ment de cette soirée, tu m’as ren­ver­sé une bougie dessus!

Publication

Quelque peu embêté. De retour de Détroit, je cor­rige le man­u­scrit écrit dans la ville et me réjouis de le don­ner à lire, comme j’ai tou­jours pen­sé le faire, à Valérie Solano des Edi­tions des Sauvages. Je lui annonce qu’il sag­it du sec­ond vol­ume de la trilo­gie com­mencé avec Ogro­rog, le titre prévu pour le dernier vol­ume étant Gor­mi­ti (du nom de cette mal­adie motrice qui fond sur les corps en Occi­dent). Elle se réjouit de lire, mais pour des raisons famil­iales ne pub­liera pas avant mai. Mon ent­hou­si­asme retombe. Quoi de mieux que tenir entre les mains le livre peu après l’avoir écrit? La semaine suiv­ante j’ai ren­dez-vous avec une des représen­tantes de l’Âge d’homme à qui j’ai par­lé l’an dernier de Roman D.C. Je renou­velle ma promesse de lui soumet­tre ce man­u­scrit en espérant par dev­ers moi que cet engage­ment me per­me­t­tra enfin de venir à bout des cor­rec­tions (au bout de six pages j’ai la nausée, me demande à quoi bon écrire un roman, si cela n’est pas insen­sé et je le mets de côté). Cepen­dant j’en prof­ite pour évo­quer Fordétroit. Elle lirait volon­tiers. Là-dessus, j’ap­pelle Stéphane Fretz des Edi­tions Art&Fiction afin qu’il m’aide à tranch­er. Il m’en­cour­age à le pub­li­er chez L’Âge d’homme mais ajoute qu’il serait aus­si pre­neur. Le dimanche nous par­tons pour Bienne où je ren­con­tre un ami directeur de col­lec­tion. Nous buvons un choco­lat chaud dans une pizze­ria de la rue Cen­trale. Il est onze heures, les nappes sont mis­es, une cor­ri­da passe à la télévi­sion (jamais vu un tel spec­ta­cle en Suisse). A mon côté Aplo, à ses côtés sa fille, une gamine avec de grands yeux éton­nés. L’a­mi nous emmène sur la canal de la Suze. Il demande si j’ai le temps. Il faudrait que je remonte jusqu’à l’é­cluse puis redescende jusqu’au lac. Cela devrait suf­fire pour m’im­prégn­er de l’at­mo­sphère par­ti­c­ulière du lieu (que je ne ressens nulle­ment n’ayant à ce jour qu’un rap­port de tra­vail avec la ville de Bienne que j’ai par­cou­rue des cen­taines de fois, mais tou­jours à la course à pied, des affich­es sous le bras et un rouleau de scotch à la main, atten­tif à ne pas me faire arrêter par la police). Est-ce que je com­prends? Et surtout, serais-je d’ac­cord?
- Ah, oui, je ne t’ai pas encore expliqué, j’aimerais que tu écrives un texte qui par­lerait de la Suze. Et ce qui m’in­téresse, c’est que tu es étranger à cette ville et à son his­toire. Tu irais vite voir l’é­cluse puis…
Je lui dis que je reviendrai, que je ne peux pas faire vite, que toute imprég­na­tion est lente et soli­taire, que je suis accom­pa­g­né et que nous sommes dimanche, et j’en prof­ite pour lui deman­der con­seil s’agis­sant de Fordétroit. A quoi il répond que lui serait atten­tif à un tirage au for­mat poche. De sorte que de retour à la mai­son, j’adresse une demande à Gérard Berré­by chez Allia. Quelques heures plus tard: “cher Alexan­dre, envoyez, je lirai avec plaisir”.

Cloches

A la place des ces cloches d’églis­es qui car­il­lon­nent à toute heure dans Fri­bourg, on pour­rait imag­in­er des mégères qui tapent sur des casseroles.

Maître

Armé d’un plan­toir à carottes je pique une bande de terre sin­ueuse. Une musique prim­i­tive sort d’un haut par­leur caché sous un groupe d’ar­bustes. Les mou­ve­ments se com­pliquent. Désor­mais, je ne me con­tente plus de pré­par­er le ter­rain pour recevoir les carottes, je danse un rythme de la fer­til­ité. Puis je prends con­science que les ban­des de terre ne sont pas dis­posées au hasard mais for­ment un chemin qui con­duit au pied du maître. Les bras croisés, celui-ci exige des répons­es.
- J’ai en tête des idées que vous n’avez pas, j’ai le ven­tre vide et je ne porte pas de pan­talons tac­tiques anti-couteaux, lui dis-je.

Radio

A l’in­stant, entre­tien en direct sur la sta­tion de Radio France, Le Mouv. Juste image de l’en­tropie que subisse les ensem­bles, dans ce cas les mots de l’écrivain amené à par­ler de son livre. A la sor­tie d’Easy­jet en févri­er il me fal­lait réfléchir et j’hési­tais; ou encore, faute de bien saisir la ques­tion, j’é­tais péremp­toire. Désor­mais je n’ai plus qu’à choisir par­mi des répons­es rodées que je com­bine et adapte. Le résul­tat n’est pas plus mau­vais, mais le tra­vail de la pen­sée cesse d’être réel pour devenir appar­ent. L’écrivain par­le à la manière du jour­nal­iste, ani­mé d’une pas­sion feinte et sur un ton d’en­t­hou­si­asme , mais sans rela­tion vitale au savoir. De fait, seuls les entre­tiens longs con­duits par une per­son­ne de car­ac­tère per­me­t­tent à l’artiste d’ap­porter des éclairages neufs sur son tra­vail. Le reste, quelque puisse être sa qual­ité, relève de la pub­lic­ité et de l’exhibitionniste.

Déni

Le déni de réal­ité est le fonde­ment de toutes les reli­gions. Aujour­d’hui, il se passe de reli­gion. Il est donc plus répan­du que jamais. Il per­met d’en­tretenir cette illu­sion que le monde est durable. Et j’en­tends par monde, la société et les rela­tions qu’elle impose, mais aus­si l’ensem­ble des valeurs sym­bol­iques que cha­cun organ­ise afin de se pro­jeter au présent et de vivre heureux. Ce qui explique assez que j’ap­pa­raisse comme un homme peu sym­pa­thique. Ou plutôt, dur. Je ne conçois pas qu’on priv­ilégie son con­fort per­son­nel (affec­tif, sex­uel, financier, moral) au détri­ment de ses con­sid­éra­tions d’analyse; que l’on mette sous le bois­seau des con­clu­sions évi­dentes pour n’avoir pas à chang­er un com­porte­ment auquel nous avons prof­it; que l’on pra­tique l’au­to­cen­sure pour n’avoir pas à s’af­fron­ter à des obsta­cles; que l’on refoule con­sciem­ment; que l’on imag­ine qu’un vouloir croire puisse sauve­g­arder à moyen terme notre qual­ité de vie. Ou alors — et c’est le pro­gramme min­i­mum pour un être moral — il faut avouer que c’est là notre pra­tique. La psy­ch­analyse avait, dans son com­mence­ment, une fonc­tion: éviter la guerre des instances psy­chologiques. Réduite à des appli­ca­tions thérapeu­tiques, elle réor­gan­ise l’in­di­vidu, passe au tamis des sym­bol­es ses luttes intestines. Or, le déni de réal­ité est aujour­d’hui une mal­adie col­lec­tive. Qui de plus entretenue à des­sein par une élite dont le cynisme est le trait de car­ac­tère dom­i­nant. Il est sen­sé de dire qu’elle et con­duit à une guerre des instances collectives.

Singes

Intéres­sant cette expéri­ence du cen­tième singe pour illus­tr­er par une métaphore le bas­cule­ment d’un par­a­digme civil­i­sa­tion­nel dans un autre. En 1948 les Améri­cains con­duisent une recherche sur le nucléaire. Déci­sion est prise d’atomiser un atoll dans le Paci­fique. Un avion largue la bombe. Les biol­o­gistes étu­di­ent alors le retour à la vie des espèces ani­males insu­laires. Les singes ne sem­blent pas affec­tés, mais les noix de cocos dont ils se nour­ris­sent sont irradiées. Les sci­en­tifiques cap­turent 12 singes et leurs mon­trent com­ment laver les noix de cocos dans la riv­ière. Ils les réin­tro­duisent dans l’île. La pop­u­la­tion totale est de 1000 singes. Au fil des semaines, ce sont vint singes, puis quar­ante, puis quar­ante-cinq qui appren­nent à laver les noix de cocos. Mais lorsque le cen­tième singe a appris, les neuf cent autres lavent aus­sitôt leurs noix de cocos.