Il y a une dimension sexuelle de l’inspiration. Les signes précurseurs de la fébrilité, l’impatience, la fermeture au monde et la certitude de la puissance de l’acte, le voile de la raison et l’effet de vertige.
Mois : juillet 2014
Pluie d’été
Pluie drue, insistante, fraîche. L’été a fui. En bas de l’immeuble, la voisine, jeune fille à la peau claire, au corps mince, frétillante à côté de son homme ou d’un homme, au fond je n’en sais rien, auprès de qui je m’étonne qu’aucun d’entre nous n’ait encore pris possession du jardin, me répond que les semaines précédentes ont été toutes entières de pluie.
Douanes
Pendant le voyage de retour, venant de Détroit, j’ai pu constater une fois de plus la multiplication des contrôles. A Siphol, l’aéroport d’Amsterdam, les queues sont longues. Fatigués, chiffonnés, les passagers des vols transatlantiques se dandinent. Les Américains seuls ont le sourire: ils entament leur expérience européenne et tout leur paraît exotique (ils ont raison, je confirme, rien de plus éloigné de notre société que la leur — pourvu que cela dure), mais en dépit du regard enjoué qu’ils portent sur la situation, ils rejoignent les autres voyageurs pour ce qui est de l’appréhension de ce rapport obligé à l’autorité. De façon générale, rein de plus éclairant quant à la psychologie individuelle qu’un passage en douane. Le symbole de l’Etat et un peu plus chaque jour de l’arbitraire est tout entier là et chacun compose en fonction de son caractère. Je pourrais noirci la page en alignant les adjectifs qui décrivent les attitudes des uns et des autres et qui, tombé le masque, sont de fidèles indicateurs de leur personnalité.
Arcanes
Étendu à portée d’un banc sur lequel est lovée une fille au corps souple, à la chevelure d’argent, aux fesses rondes. Mais l’autre me devance. Il prend place. Il est nu comme je le suis et se pousse contre elle. Je tarde. Nous formons un trio. Jusqu’ici, il n’y a pas de préférence. Pour autant le jeu ne m’échappe pas: l’autre va tenter de me doubler. Et en effet, je vois que la relation se noue, que la fille m’échappe. Cela m’attriste d’autant plus que nous étions également favoris. C’est alors que je prends conscience de cette réalité de la psychologie féminine. Une femme ne prend pas de risque. Si elle s’est un tant soi peu engagée auprès d’un homme et sent que cela peut convenir, aucun rival ne pourra la ravir. Car il est toujours possible, pense la femme, que l’autre ne convienne pas. Ce raisonnement tenu, j’en conçois aussitôt du dépit amoureux et change de scène. C’est le petit matin, dans un appartement où dorment un grand nombre de personnes. Je m’avance sur la pointe des pieds entre les corps couchés, je n’ai qu’un souhait, me rendormir. Les enfants se réveillent. Je me tiens devant les toilettes. Les enfants veulent aussi pisser, mais j’étais le premier. Qu’ils me regardent m’indispose, me bloque. Retirez-vous! leur dis-je. Ils restent. Et je passe ma colère sur un petit qui vient d’entrer sans refermer la porte. Je ferme ma braguette et me précipite, je lui attrape l’oreille:
- Vas-tu fermer cette porte?
M’apercevant alors qu’il n’a guère qu’un an, marche depuis quelques jours et ne peut en aucun cas comprendre mon ordre. “Qu’à cela ne tienne, me dis-je, il s’en souviendra plus tard, lorsqu’il grandira”.
Et ce rêve tient je pense à la dernière nuit passée chez Travis. Nous avions bu, j’occupais un lit dans l’unique chambre fermée. Un invité dormait sur mon passage dans le placard, un autre sur le sol et pour gagner les toilettes, il fallait encore passer devant Travis. Ce n’est pas tant que cela me gêne, mais le fait de savoir toutes ses présences, mon sommeil serait interrompu chaque fois que j’aurai à pisser. Je trouvai alors la solution de la bouteille sous le lit.
Décalage
Décalé à un point. Et les somnifères n’y font rien. D’habitude je n’ai pas ce genre d’articles dans ma pharmacie. D’ailleurs, je n’ai pas de pharmacie. Mais aux États-Unis, les médicaments d’usage courant sont en vente libre, il s’agissait d’en profiter. Seulement voilà, ces grosses capsules bleues ont pour seul effet de me brouiller les idées, elles ne m’endorment pas. Couché hier à 22h00, j’entendais sonner les cloches ce matin à 5h30. Heureusement, dans l’intervalle, je rallume et lis, puis j’écris de petites choses qui en d’autres circonstances ne viendraient pas : contes, poèmes cubistes ou dada, de quoi s’amuser. Enfin, le sommeil me rattrape. Alors je plonge. Quand le soleil se montre, avance jusqu’au lit, me chauffe les reins et que je transpire, c’est encore sans effet. La volonté est bridée, je ne suis pas aux commandes, mais à dix mille lieues du corps, dans le chloroforme. La ligne internet sonne. Gala appelle de sa villa de la Côte-d’Azur. La tablette est à portée de main. Impossible de me tirer jusque là. Je replonge. Et pourtant une crainte ne me quitte pas. Ce que je voudrais, en plus d’être seul, c’est savoir que nulle sollicitation ne peut bousculer mon repos. Là est le repos vrai. Hélas, j’attends un camion et je sais que si l’autre téléphone sonne, il me faudra me lever pour réceptionner trois palettes de cadres allemands.
Retour
Retour de Détroit. Un travail littéraire au-delà de mes espérances et que je poursuis ces jours. Cette façon d’écrire est la mienne: j’arpente des campagnes ou des villes un carnet en poche, prend des notes sur les coins de table, dans les parcs ou au milieu de la rue et cela sans interruption, heure après heure, le jour comme la nuit . Alors peu à peu, la l’art et la vie se confondent, une sublimation est opérée. Le quotidien perd ses attaches matérielles la vie est esthétique. Pour l’esprit, c’est un immense bonheur. Le récit s’organise au gré des notes et dans son mouvement. Au fond, pour prendre un exemple chez les anglo-saxons, c’est le débat Henry Miller-Lawrence Durrel. Tout l’hiver, Etan m’a fait reproche d’une attitude froide, il entend cérébrale: elle pousse le texte vers le constat d’analyse. Cette effort de construction intellectuelle me fascine, il est certain, mais l’autre veine, lyrique et déambulatoire, est tout aussi passionnante. Et il y en a une dernière, qui relève de la fabrique, c’est à dire de la fiction brute, de l’agencement des phantasmes. Elle donne des romans ou des nouvelles. En regard des deux premières elle m’apparaît négligeable. C’est qu’on y apprend très peu sur soi. Le champ de l’imagination est trop vaste. Pour en revenir au livre écrit à Détroit, il me faut y ajouter quelques pages que j’ai à l’esprit puis rassembler et consolider l’ensemble. A moins que je me trompe, j’ai enfin réussi cet alliage précieux du trivial et du distingué, des choses du corps, la nourriture, la parole, les amitiés, l’amour et des choses de l’esprit, les vues spéculatives, la religion, la psychologie.