Au-dessus de tout, l’art. Le mot aussitôt prononcé, une image se forme et plane, que je considère et qui me contente. Une promesse, un appel à l’effort. Le propre de l’homme. Cette approche mystique et infantile explique peut-être, par un explicable transfert, ma fascination pour la pratique religieuse. Quand bien même l’objet de la croyance me paraît fabriqué, l’intériorité, le recueillement, la visée, l’ordre, la répétition m’appellent.
Mois : décembre 2013
Taches
Les poids que prend l’administration dans nos sociétés: oui, sans doute! Mais l’on devrait surtout s’inquiéter de la transformation de nos lieux de vie en bureau de traitement de l’information. Aujourd’hui, un père de famille passe chaque semaine des heures à remplir, parapher, argumenter, acquitter, justifier, procurer. Les réseaux devraient permettre de créer une solidarité électronique éphémère engageant tous les participants à jeter à la poubelle l’ensemble des documents que leur ont fait parvenir pour l’année les administration publiques et privées.
Anticipation
La boisson aidant, dès qu’elle se sent en confiance, Gala fait mon procès. Elle énumère ce que je suis. Ce n’est pas beau à entendre. Elle rend public, sans égards pour le sens et le rythme de la conversation, des propos tenus dans l’intimité. Il y a longtemps que j’ai cessé de m’en offusqué. D’abord parce que, si je marque en effet, comme tout un chacun, dans l’expression de mes opinions, des degrés, c’est pour respecter un décorum sans lequel aucune société ne serait possible et non pour tricher, ensuite parce que, fidèle à moi-même, je ne craindrai pas de me défendre et de me justifier si injonction m’en était faite et peut-être le veux. Mais ce qui m’amuse dans ce lynchage, c’est ce que je crois en comprendre: Gala se démarque avec force déclarations de ma position afin de parer l’éventualité où celle-ci devait un jour me valoir des conséquences néfastes.
Séparation
Que nous sommes bien sur cette colline du Guintzet! Et pourquoi y est-on bien? Parce que la vie bête et saccadée que produit le marché, les stigmates que portent au visage les individus que charrient les flux électriques, n’empoisonnent pas l’atmosphère. Il n’y a pas de magasin, pas de loisir, pas de raison de se tenir sur cette colline sinon de retrouver la raison. Constat qui vérifie les bienfaits du ghetto. La paix est à ce prix: la séparation. Ce qui en dit long sur la solidarité chère au cœur des bienfaisants. Ils aident, sauvent, réparent les individus ballotés, brisés, perdus, pour autant qu’ils puissent s’appuyer sur une logique du ghetto. Ils sauvent à partir de leur position éminente ceux qui se trouvent rejetés à la périphérie; ou pour mieux dire, afin de racheter leur pêché, sauvent quelques individus. C’est une forme d’exorcisme. (Les autres, ceux qui sauvent en mêlant leur existence à la foule des égarés sont des saints) En ce qui me concerne je n’ai envie de sauver personne et préférerai ne pas être séparé.
France
Un ami me raconte son installation dans un hameau de France. Des sentiments contradictoires me traversent. La France, cette société lâche, paresseuse, aux institutions bancales, aux caractères corrompus. Un village, sa fumée sur la neige, le bon sens des habitants, leur gentillesse, la montagne, la modestie des rapports. Mais le sentiment négatif l’emporte. Lorsque des situations vous enferment, des propos imbéciles sont tenus, des jugements arbitraires prononcés, cela à répétition, minant votre position, l’image qu’offre pareille société vous empêche de voir le monde serait-il fait de villages, de montagnes et d’habitants amicaux. Voici ce qu’est devenue pour moi la France depuis trois ans, un pays malade de sa société.
Resolution
Réveillé en pleine nuit je me demandais comment qualifier la capacité maligne qui consiste à proposer pour un problème résolu une solution qui, lorsque se posait le problème, n’a pas été proposée. Je ne parle pas de logique mais d’Histoire. Employons une métaphore. Soit quatre adolescents élevés par un père tyrannique. Chacun comprend qu’il faudrait l’empêcher de nuire mais personne n’a le courage de s’opposer. La tyrannie augmente jusqu’au moment où les adolescents, enfin adultes, quittent leur père. Alors chacun admet comme évident qu’en cas de tyrannie il faut s’opposer au père. L’évidence de la solution leur permet de se prévaloir contre tout retour de la menace, ce qui s’exprime ainsi: plus jamais notre père (et aucun père) n’agira en tyran. La solution qui consistait à s’opposer n’a pas été retenue lorsque se posait le problème. Appellera-t-on resolution, l’apport de la bonne solution , alors que le problème n’a plus d’actualité? Et dans ce cas, que signifie la résolution? Fermeté, courage, décision (selon Littré). Mais aussi: projet que l’on arrête, dessein que l’on prend. L’Histoire, telle que la conçoivent aujourd’hui ces spécialistes qui la considèrent comme une morale reconstructive (comme on dirait une chirurgie reconstructive), mériterait d’être envisagée à travers ce faisceau de définitions qui sépare la resolution de la résolution.
Discussions
Drôles de conversations. Je n’en retiens rien. Elles sont agréables, utiles. Quand elles ne sont que cela, j’y prend part sans m’en rendre compte. Par moments, je m’aperçois que j’y participe, que c’est moi qui parle, répond ou pire, pose des questions. Lorsque je m’en aperçois m’emplit un sentiment d’inquiétude. Cette mécanisation involontaire de la parole me coupe de moi-même. Il serait intéressant de vérifier si l’interlocuteur procède de la même façon. Nous aurions alors un dédoublement: en lieu et place de deux amis de rencontre deux flux de paroles interagissent. D’ailleurs, si au bout de quelques minutes je sonde ma mémoire, rien ne demeure de ce qui fut dit. Tout autrement en va-t-il des discussions serrées, de celles où chaque mot engage votre pensée. Non seulement l’exercice d’écoute implique l’être entier et le concentre, mais aussitôt que se présente son tour de parler, une fabrique se met en marche qui sollicite les ressorts conjoints de la mémoire, de l’expérience et du savoir. De plus, si l’essai aboutit à une parole qui n’est pas trop en défaut d’expression, la satisfaction sera immense d’avoir franchi la clôture de son être et figuré par projection un lieu nouveau qui, pour autant qu’adhésion y soit donnée, sera occupé avec profit. De fait, lorsque de telles discussions, entre toutes enrichissantes, se produisent, il m’en reste trace pendant des mois voire des années.
Mioches
Quel plaisir de voir débouler les enfants dans le préau que surplombe la salle de bains! C’est à l’heure où j’ai le visage tartiné de mousse et l’œil fripé. La cloche sonne, les portes battent, une vague de cris précède leur apparition. Ils ont petits, enveloppés, ronds. Certains, pour atteindre les jeux, courent le long du chemin en crémaillère d’autres se jettent dans tuyau orange et atterrissent sur les fesses dix mètres plus bas. Et comme le gel saisit la colline depuis une quinzaine, tous patinent.