Mois : décembre 2013

Art

Au-dessus de tout, l’art. Le mot aus­sitôt pronon­cé, une image se forme et plane, que je con­sid­ère et qui me con­tente. Une promesse, un appel à l’ef­fort. Le pro­pre de l’homme. Cette approche mys­tique et infan­tile explique peut-être, par un explic­a­ble trans­fert, ma fas­ci­na­tion pour la pra­tique religieuse. Quand bien même l’ob­jet de la croy­ance me paraît fab­riqué, l’in­téri­or­ité, le recueille­ment, la visée, l’or­dre, la répéti­tion m’appellent.

Détartrant

Le fla­con de détar­trant posé sur l’é­tagère de la salle de bains annonce: tue 99,99% des bac­téries. Nous voilà rassurés.

Detroit

Dans Detroit en fail­lite des archéo­logues pra­tiquent des carot­tages sur les ter­rains en friche pour étudi­er le passé ouvri­er de la ville.

Taches

Les poids que prend l’ad­min­is­tra­tion dans nos sociétés: oui, sans doute! Mais l’on devrait surtout s’in­quiéter de la trans­for­ma­tion de nos lieux de vie en bureau de traite­ment de l’in­for­ma­tion. Aujour­d’hui, un père de famille passe chaque semaine des heures à rem­plir, para­pher, argu­menter, acquit­ter, jus­ti­fi­er, pro­cur­er. Les réseaux devraient per­me­t­tre de créer une sol­i­dar­ité élec­tron­ique éphémère engageant tous les par­tic­i­pants à jeter à la poubelle l’ensem­ble des doc­u­ments que leur ont fait par­venir pour l’an­née les admin­is­tra­tion publiques et privées.

Anticipation

La bois­son aidant, dès qu’elle se sent en con­fi­ance, Gala fait mon procès. Elle énumère ce que je suis. Ce n’est pas beau à enten­dre. Elle rend pub­lic, sans égards pour le sens et le rythme de la con­ver­sa­tion, des pro­pos tenus dans l’in­tim­ité. Il y a longtemps que j’ai cessé de m’en offusqué. D’abord parce que, si je mar­que en effet, comme tout un cha­cun, dans l’ex­pres­sion de mes opin­ions, des degrés, c’est pour respecter un déco­rum sans lequel aucune société ne serait pos­si­ble et non pour trich­er, ensuite parce que, fidèle à moi-même, je ne craindrai pas de me défendre et de me jus­ti­fi­er si injonc­tion m’en était faite et peut-être le veux. Mais ce qui m’a­muse dans ce lyn­chage, c’est ce que je crois en com­pren­dre:  Gala se démar­que avec force déc­la­ra­tions de ma posi­tion afin de par­er l’éven­tu­al­ité où celle-ci devait un jour me val­oir des con­séquences néfastes.

Séparation

Que nous sommes bien sur cette colline du Guintzet! Et pourquoi y est-on bien? Parce que la vie bête et sac­cadée que pro­duit le marché, les stig­mates que por­tent au vis­age les indi­vidus que char­ri­ent les flux élec­triques, n’empoisonnent pas l’at­mo­sphère. Il n’y a pas de mag­a­sin, pas de loisir, pas de rai­son de se tenir sur cette colline sinon de retrou­ver la rai­son. Con­stat qui véri­fie les bien­faits du ghet­to. La paix est à ce prix: la sépa­ra­tion. Ce qui en dit long sur la sol­i­dar­ité chère au cœur des bien­faisants. Ils aident, sauvent, répar­ent les indi­vidus bal­lotés, brisés, per­dus, pour autant qu’ils puis­sent s’ap­puy­er sur une logique du ghet­to. Ils sauvent à par­tir de leur posi­tion émi­nente ceux qui se trou­vent rejetés à la périphérie; ou pour mieux dire, afin de racheter leur pêché, sauvent quelques indi­vidus. C’est une forme d’ex­or­cisme. (Les autres, ceux qui sauvent en mêlant leur exis­tence à la foule des égarés sont des saints) En ce qui me con­cerne je n’ai envie de sauver per­son­ne et préfér­erai ne pas être séparé.

France

Un ami me racon­te son instal­la­tion dans un hameau de France. Des sen­ti­ments con­tra­dic­toires me tra­versent. La France, cette société lâche, paresseuse, aux insti­tu­tions ban­cales, aux car­ac­tères cor­rom­pus. Un vil­lage, sa fumée sur la neige, le bon sens des habi­tants, leur gen­til­lesse, la mon­tagne, la mod­estie des rap­ports. Mais le sen­ti­ment négatif l’emporte. Lorsque des sit­u­a­tions vous enfer­ment, des pro­pos imbé­ciles sont tenus, des juge­ments arbi­traires pronon­cés, cela à répéti­tion, minant votre posi­tion, l’im­age qu’of­fre pareille société vous empêche de voir le monde serait-il fait de vil­lages, de mon­tagnes et d’habi­tants ami­caux. Voici ce qu’est dev­enue pour moi la France depuis trois ans, un pays malade de sa société.

Resolution

Réveil­lé en pleine nuit je me demandais com­ment qual­i­fi­er la capac­ité maligne qui con­siste à pro­pos­er pour un prob­lème résolu une solu­tion qui, lorsque se posait le prob­lème, n’a pas été pro­posée. Je ne par­le pas de logique mais d’His­toire. Employons une métaphore. Soit qua­tre ado­les­cents élevés par un père tyran­nique. Cha­cun com­prend qu’il faudrait l’empêcher de nuire mais per­son­ne n’a le courage de s’op­pos­er. La tyran­nie aug­mente jusqu’au moment où les ado­les­cents, enfin adultes, quit­tent leur père. Alors cha­cun admet comme évi­dent qu’en cas de tyran­nie il faut s’op­pos­er au père. L’év­i­dence de la solu­tion leur per­met de se pré­val­oir con­tre tout retour de la men­ace, ce qui s’ex­prime ain­si: plus jamais notre père (et aucun père) n’a­gi­ra en tyran. La solu­tion qui con­sis­tait à s’op­pos­er n’a pas été retenue lorsque se posait le prob­lème. Appellera-t-on res­o­lu­tion, l’ap­port de la bonne solu­tion , alors que le prob­lème n’a plus d’ac­tu­al­ité? Et dans ce cas, que sig­ni­fie la réso­lu­tion? Fer­meté, courage, déci­sion (selon Lit­tré). Mais aus­si: pro­jet que l’on arrête, des­sein que l’on prend. L’His­toire, telle que la conçoivent aujour­d’hui ces spé­cial­istes qui la con­sid­èrent comme une morale recon­struc­tive (comme on dirait une chirurgie recon­struc­tive), mérit­erait d’être envis­agée à tra­vers ce fais­ceau de déf­i­ni­tions qui sépare la res­o­lu­tion de la réso­lu­tion.

Discussions

Drôles de con­ver­sa­tions. Je n’en retiens rien. Elles sont agréables, utiles. Quand elles ne sont que cela, j’y prend part sans m’en ren­dre compte. Par moments, je m’aperçois que j’y par­ticipe, que c’est moi qui par­le, répond ou pire, pose des ques­tions. Lorsque je m’en aperçois m’emplit un sen­ti­ment d’in­quié­tude. Cette mécan­i­sa­tion involon­taire de la parole me coupe de moi-même. Il serait intéres­sant de véri­fi­er si l’in­ter­locu­teur procède de la même façon. Nous auri­ons alors un dédou­ble­ment: en lieu et place de deux amis de ren­con­tre deux flux de paroles inter­agis­sent. D’ailleurs, si au bout de quelques min­utes je sonde ma mémoire, rien ne demeure de ce qui fut dit. Tout autrement en va-t-il des dis­cus­sions ser­rées, de celles où chaque mot engage votre pen­sée. Non seule­ment l’ex­er­ci­ce d’é­coute implique l’être entier et le con­cen­tre, mais aus­sitôt que se présente son tour de par­ler, une fab­rique se met en marche qui sol­licite les ressorts con­joints de la mémoire, de l’ex­péri­ence et du savoir. De plus, si l’es­sai aboutit à une parole qui n’est pas trop en défaut d’ex­pres­sion, la sat­is­fac­tion sera immense d’avoir franchi la clô­ture de son être et fig­uré par pro­jec­tion un lieu nou­veau qui, pour autant qu’ad­hé­sion y soit don­née, sera occupé avec prof­it. De fait, lorsque de telles dis­cus­sions, entre toutes enrichissantes, se pro­duisent, il m’en reste trace pen­dant des mois voire des années.

Mioches

Quel plaisir de voir débouler les enfants dans le préau que sur­plombe la salle de bains! C’est à l’heure où j’ai le vis­age tart­iné de mousse et l’œil fripé. La cloche sonne, les portes bat­tent, une vague de cris précède leur appari­tion. Ils ont petits, envelop­pés, ronds. Cer­tains, pour attein­dre les jeux, courent le long du chemin en cré­mail­lère d’autres se jet­tent dans tuyau orange et atter­ris­sent sur les fess­es dix mètres plus bas. Et comme le gel saisit la colline depuis une quin­zaine, tous patinent.