L’horreur démocratique.
Mois : décembre 2013
Théâtre capitaliste
Afin de rendre tangible la menace que représentait le communisme à l’époque du procès des époux Rosenberg, un maire d’une petite ville américaine rassembla ses administrés et énuméra les changements que ne manquerait pas d’imposer l’avènement d’un tel système; la nourriture riche et variée remplacée par une brouet de patates et de navet, le cinéma local ne diffusant des films de propagande à la gloire de Staline, les voitures remplacées par des mulets, les habits découpés dans la toile de jute. Après adaptation, cette représentation théâtrale serait aujourd’hui de la plus grande utilité pour figurer à l’attention des Européens l’avenir qui les attend. Mais lorsqu’on se penche avec sérieux sur la possibilité de recourir à pareille méthode, il faut déchanter. De fait, comment obtiendrait-on une représentation d’une société capitaliste qui est elle-même une parodie de la vie? Tout au plus pourrait-on forcer le trait, ce qui reviendrait à accélérer le processus de déréalisation, autrement dit, à travailler pour le capitalisme.
Equilibre
Séance d’entraînement exigeante. La côte semble remise. Certains exercices sont encore douloureux, mais je vais pouvoir, dès lundi, reprendre le programme. Rassurant. Paranoïaque ou non, les nouvelles indiquent assez une accélération générale du pillage des peuples, lesquels, tout habitués à la traite, pourraient finir par relever la tête — du moins tenter de le faire, ce qui suffirait pour mettre bas le fragile équilibre de nos absurdes sociétés.
easyJet
Reçu d’Allia les premiers volumes d’easyJet sortis de presse. Le livre est petit, orange, le titre composé dans les caractères originaux de la compagnie. Il est court (96 pages) et discret. Si mince, qu’on se demande s’il offre quelque chose à lire. Est-ce que, lors d’un prochain voyage, j’aurai le plaisir de voir l’un des passagers le lire?
Russe
Dans le train pour Genève, je prends place en face d’une russe diaphane qui lit avec concentration. Son immobilité est à la fois curieuse et intimidante. J’aurai pu choisir une autre place, mais je m’en tiens à ma décision récente: se rapprocher de la beauté. Pour donner le change, je la salue. Elle marque un temps avant de réagir. C’est alors que je m’aperçois que son attitude n’est pas composée. Elle lève brièvement les yeux, me rend mon salut du bout des lèvres. Le train roule trois quart d’heures. Sa concentration favorise la mienne, je lis de la philosophie, exercice difficile dans un lieu public. Lorsque Lausanne est en vue, elle se prépare avec flegme et méthode. Puis me salue d’une phrase complète:
- Au revoir Monsieur, bon voyage.
L’idée me vient que de telles personnalités doivent être effrayées par les mœurs barbares que notre système développe et entretient.
Haldas
Niaiserie de Georges Haldas dans L’Intermède marocain. Passager en attente stocké dans l’un des champignons de l’aéroport de Cointrin, il lui faut deux pages pour nous raconter la vision prémonitoire de cet Orient des Mille et une nuits que lui fait entrevoir les plis flottants de la djellabah d’une passagère à la “noblesse native” (expression prise chez Baudelaire). Travers ridicule hélas répandu chez nos intellectuels; il consiste à se démarquer à bon compte de la petitesse attribuée à tort à nos mœurs locales en valorisant à grands renforts de fantasmes les figure de l’étranger.
Nihilisme
Détruire la langue commune est sans doute le moyen le plus efficace de mettre les corps et les esprits à la disposition du capitalisme financier. L’immigration organisée en est le moyen le plus sûr. Parallèlement les pouvoirs séparent au nom de la loi (définition de nouvelles tolérances en faveur de minorités qui revendiquent un statut hors tradition — lesbiennes, homosexuels, polygames, adoption, etc.) les familles.