Russe

Dans le train pour Genève, je prends place en face d’une russe diaphane qui lit avec con­cen­tra­tion.  Son immo­bil­ité est à la fois curieuse et intim­i­dante. J’au­rai pu choisir une autre place, mais je m’en tiens à ma déci­sion récente: se rap­procher de la beauté. Pour don­ner le change, je la salue. Elle mar­que un temps avant de réa­gir. C’est alors que je m’aperçois que son atti­tude n’est pas com­posée. Elle lève briève­ment les yeux, me rend mon salut du bout des lèvres. Le train roule trois quart d’heures. Sa con­cen­tra­tion favorise la mienne, je lis de la philoso­phie, exer­ci­ce dif­fi­cile dans un lieu pub­lic. Lorsque Lau­sanne est en vue, elle se pré­pare avec flegme et méth­ode. Puis me salue d’une phrase com­plète:
- Au revoir Mon­sieur, bon voy­age.
L’idée me vient que de telles per­son­nal­ités doivent être effrayées par les mœurs bar­bares que notre sys­tème développe et entretient.