Drôles de conversations. Je n’en retiens rien. Elles sont agréables, utiles. Quand elles ne sont que cela, j’y prend part sans m’en rendre compte. Par moments, je m’aperçois que j’y participe, que c’est moi qui parle, répond ou pire, pose des questions. Lorsque je m’en aperçois m’emplit un sentiment d’inquiétude. Cette mécanisation involontaire de la parole me coupe de moi-même. Il serait intéressant de vérifier si l’interlocuteur procède de la même façon. Nous aurions alors un dédoublement: en lieu et place de deux amis de rencontre deux flux de paroles interagissent. D’ailleurs, si au bout de quelques minutes je sonde ma mémoire, rien ne demeure de ce qui fut dit. Tout autrement en va-t-il des discussions serrées, de celles où chaque mot engage votre pensée. Non seulement l’exercice d’écoute implique l’être entier et le concentre, mais aussitôt que se présente son tour de parler, une fabrique se met en marche qui sollicite les ressorts conjoints de la mémoire, de l’expérience et du savoir. De plus, si l’essai aboutit à une parole qui n’est pas trop en défaut d’expression, la satisfaction sera immense d’avoir franchi la clôture de son être et figuré par projection un lieu nouveau qui, pour autant qu’adhésion y soit donnée, sera occupé avec profit. De fait, lorsque de telles discussions, entre toutes enrichissantes, se produisent, il m’en reste trace pendant des mois voire des années.