De Madrid Barajas, un bus nous emmène à Salamanque. Je suis passé dans la ville l’an dernier, à vélo, comme je me rendais avec mon frère de Porto à Alicante, mais le temps de déjeuner en périphérie, de croiser un vieillard mal luné qui prétendit me bouter hors du trottoir où je m’étais garé un instant pour consulter la carte et un crieur aveugle de la Once qui vendait son tirage du gros lot d’une voix rauque que nous imitons depuis pour rire, nous n’avons rien vu de la ville, pressés de nous remettre en selle et d’avaler nos cent kilomètres de l’après-midi. En fait, je n’ai réellement séjourné dans Salamanque qu’une fois, en 1992, lorsque nous avions, avec mon frère, le projet d’ouvrir un bar. Pendant trois jours, notre activité consista à visiter méthodiquement les bars, comparer le prix des boissons, les décors, les marques, la tenue des serveurs, la clientèle, les horaires, les quartiers, tout cela de la façon la plus fantaisiste, par exemple en prenant des notes sur des morceaux de serviette que nous jetions à la poubelle le lendemain. Une vieille dame née au dix-neuvième tenait pension sur la Plaza mayor, réputée la plus belle d’Espagne et à dix-sept heures, debout sur le balcon, où la température de ce mois de novembre était à peu près la même qu’à l’intérieur de la chambre, nous tentions d’apercevoir sous une couche de brouillard stagnant à trois mètres les étudiants dont les hurlements joyeux montaient contre les façades des bâtiments renaissance.
Ce matins, dans le bus, nous sommes assis entre une sud-américaine chétive et décalée qui ronfle et une vielle dame qui après avoir annoncé à sa voisine qu’elle est âgée de quatre-vingt-cinq ans parle pendant les 2h30 que dure le voyage.