Tejares

L’hô­tel occupe une annexe du monastère de San Este­ban, sur les rives du Tormes. Il pleut, les rues sont liss­es, en cet après-midi de la fête de l’an, les pas­sants sont rares: en Espagne on s’ha­bille avec soin. Dans l’épicerie où je prends de l’eau, un jeune homme inqui­et demande à la vendeuse s’il lui reste des raisins. Sur le coup des minu­it, chaque Espag­nol pronon­cera douze voeux en avalant douze grains de raisin. Le mon­u­ment le plus ancien de la ville est un ver­ra­co sans tête mon­té sur piédestal à l’en­trée du pont romain. Je le dou­ble, tra­verse la riv­ière, rejoins un sen­tier entre les arbres et cours vers Tejares, une ban­lieue. Ici, plus per­son­ne. Des maisons mitoyennes par paque­ts de quinze et vingt, des parcs à jeux vides, des ter­rains en friche. Au som­met de la colline, un cimetière. Je tourne sur le park­ing, attaque la descente. En face, Sala­manque, ses deux cathé­drales, l’u­ni­ver­sité pon­tif­i­cale et, posés sur les champs, en direc­tion du Por­tu­gal, des morceaux de route encadrés de réver­bères qui évo­quent les aires d’at­ter­ris­sage du con­ti­nent Mu. Autant de pro­jets aban­don­nés. Au lieu de pass­er sous la voie de chemin de fer et sa gare désaf­fec­tée, j’emprunte un vieux pont qui débouche sur une église. Elle sur­plombe la nationale. Afin de me tenir loin du traf­ic, je plonge dans une venelle, la calle de la Igle­sia. Des enfants jouent sous la pluie, une pous­sette con­tient du bois de chauffe, les gout­tières rem­plis­sent un ton­neau. Des gitans vivent là, dans un appen­tis qui devait servir de remise à out­ils au bedeau. La rue sert salon. Embal­lée dans un sachet de super­marché, une radio dif­fuse de la musique. Je rebrousse chemin, descend vers la nationale. En con­tre­bas, l’ap­pen­tis paraît plus mis­érable encore: murs gon­flés, végé­ta­tion grim­pante, toit rapiéçé de sacs. J’ai bien fait de ne pas con­tin­uer, la ruelle est murée. Pour cause, le ter­rain lim­itro­phe a été excavé par son pro­prié­taire, la famille donne sur le vide. Au bout d’une heure trente, je reviens au monastére de San Este­ban. Des clients arrivent du Por­tu­gal et de France. Depuis le matin, j’ai croisé deux fois le bus mar­qué Cemente­rio, suis passé devant un tana­to­ri­um, les pom­pes funèbres La Dolorosa, et je viens de gag­n­er sur la colline le cimetière de Tejares.