Mois : septembre 2013

Journées

Mes journées ressem­blent à celles d’un malade. Réveil­lé, je bois, je mange et je me couche. Plus tard, je bois, je mange et me recouche. Je ne me promène pas dans l’or­age. D’ailleurs, quit­ter l’emballage que j’ai con­fec­tion­né avec un sac poubelle, une feuille d’a­lu­mini­um, l’embase, la boîte à bis­cuits et l’or­eiller gon­flable, demande une exper­tise et du temps; je le quitte peu. Je suis un malade qui, faute d’une mal­adie à sec­ourir, n’a besoin de per­son­ne et peut libre­ment jouer avec son corps et son esprit.

Luxe

Pour­tant je n’aimerais être ni au Pala­cio de Vela­da d’Av­i­la, ni au Lega­cy de Jerusalem, ni au Jam­bu­luwuk se Yogyakar­ta. Ne rien faire, ne pas savoir, ne pas écouter, est un luxe bien supérieur.

Poésie

La nuit de ses trente ans, coupant à tra­vers champs, dés­espéré, Mon­a­mi cri­ait: je suis un mau­vais poète!

Devant

Celui qui part devant donne l’ex­em­ple. Doit-il être suivi? Nul ne le sait. Il est devant.

Temps

Ce matin, pluie glaçante. Je porte tous mes habits. Avant de met­tre mes chaus­sures détrem­pées, j’en­veloppe mes pieds de de sacs. Le café, je le pré­pare en ciré. En mon­tagne, le temps change vite, dit-on. Qu’il change, vite!

Petromax

Enfin réus­si à allumer la lanterne, une Petro­max de quar­ante cen­timètres qui rap­pelle le falot des marins. Reste à savoir com­ment les mouss­es s’y pren­nent sous les paque­ts d’eau. Il s’ag­it d’abord de pom­per pour met­tre le pét­role sous pres­sion, d’al­lumer un jet qui brûle le man­chon, de laiss­er celui-ci se con­sumer, de ral­lumer le jet et au bout de nonante sec­on­des, d’in­vers­er l’a­menée de com­bustible pour que le car­bu­ra­teur porte le man­chon à incan­des­cence. Une telle manœu­vre au creux de la tem­pête, je ne vois pas.

Usine

Gala retour­nait aujour­d’hui dans sa vil­la de la Côte-d’Azur. Et pen­dant que tu seras dans ta mon­tagne, je me baign­erai. Faux, elle ne se baigne jamais. Elle s’a­vance, met un pied dans l’eau, dit qu’elle ira une autre fois.
- En tout cas, je suis hors de moi, Aplo a volé mon mail­lot de bains dans ma valise! Et mes balles, il a aus­si volé mes balles!
- Quelles balles?
- J’ai des balles de riz.
- Et tu en fais quoi?
- Quand tu n’es pas là, je joue.
Avant d’aller pren­dre son train, elle se met en tête de récupér­er ce qui lui aurait été volé. La voici per­suadée de retrou­ver le mail­lot et les balles dans une cachette qu’Ap­lo aurait amé­nagé dans un usine désaf­fec­tée de Satigny. Elle exige que je lui des­sine un plan du bâti­ment. J’ex­plique: Aplo n’en­tre pas dans les étages, il grimpe par l’échelle du feu et monte sur le toit, il y a des édicules à ce niveau: arrivée des cages d’as­censeur, machiner­ie, tours d’air con­di­tion­né. Mais le jour où j’ai accom­pa­g­né les enfants, j’ai fail­li me rompre le cou: la police a scié les dix pre­miers bar­reaux de l’échelle pour inter­dire l’ac­cès à l’u­sine, il faut agrip­per à plus de deux mètres de hau­teur un morceau de tube, se bal­ancer et se hiss­er.
Le lende­main, sur l’Alpe, effrayée par les cochons, elle tourne la voiture, démarre, revient en arrière et par la vit­re bais­sée:
- Si j’ap­por­tais une chaise? 

Trous

L’ar­mail­li voulait-il dire, les trous? Car dans le cirque de mon­tagne que ma tente sur­plombe il y a des trous. Je m’y suis penché. L’embouchure est étroite, le fond à plusieurs mètres. Des fleurs rouges et bleues poussent à tra­vers les éclats de pierre. Si ce sont des météorites, où sont-elles?

Thé

Dans la mai­son de mes par­ents, cha­cun appelait plusieurs fois par jour à boire le thé. Toute activ­ité ces­sait. Les tâch­es étaient inter­rompues, ceux qui étaient en cham­bre rejoignaient le salon. Assis dans les canapés ou autour de la table, nous buvions plusieurs tass­es et finis­sions de la théière. Ma grand-mère, quand j’al­lais chez elle, avait un rythme plus soutenu. Elle fai­sait bouil­lir de l’eau une pre­mière fois au milieu de l’après-midi puis toutes les vingt min­utes. Si nous regar­dions la télévi­sion, elle pas­sait le même temps au ser­vice et devant l’écran. Une fois le poste éteint, elle rem­plis­sait une dernière théière et je lui racon­tais le film.

Mort

J. est mort d’épuise­ment, de la drogue, du sida. Fin de la nuit, à l’orée d’un parc, R. et J. sont assis sur un banc. R. se lève. Bon, je ren­tre! Sans se retourn­er: tu viens? J. ne répond pas. Il est assis, il est mort.