Mes journées ressemblent à celles d’un malade. Réveillé, je bois, je mange et je me couche. Plus tard, je bois, je mange et me recouche. Je ne me promène pas dans l’orage. D’ailleurs, quitter l’emballage que j’ai confectionné avec un sac poubelle, une feuille d’aluminium, l’embase, la boîte à biscuits et l’oreiller gonflable, demande une expertise et du temps; je le quitte peu. Je suis un malade qui, faute d’une maladie à secourir, n’a besoin de personne et peut librement jouer avec son corps et son esprit.
Mois : septembre 2013
Petromax
Enfin réussi à allumer la lanterne, une Petromax de quarante centimètres qui rappelle le falot des marins. Reste à savoir comment les mousses s’y prennent sous les paquets d’eau. Il s’agit d’abord de pomper pour mettre le pétrole sous pression, d’allumer un jet qui brûle le manchon, de laisser celui-ci se consumer, de rallumer le jet et au bout de nonante secondes, d’inverser l’amenée de combustible pour que le carburateur porte le manchon à incandescence. Une telle manœuvre au creux de la tempête, je ne vois pas.
Usine
Gala retournait aujourd’hui dans sa villa de la Côte-d’Azur. Et pendant que tu seras dans ta montagne, je me baignerai. Faux, elle ne se baigne jamais. Elle s’avance, met un pied dans l’eau, dit qu’elle ira une autre fois.
- En tout cas, je suis hors de moi, Aplo a volé mon maillot de bains dans ma valise! Et mes balles, il a aussi volé mes balles!
- Quelles balles?
- J’ai des balles de riz.
- Et tu en fais quoi?
- Quand tu n’es pas là, je joue.
Avant d’aller prendre son train, elle se met en tête de récupérer ce qui lui aurait été volé. La voici persuadée de retrouver le maillot et les balles dans une cachette qu’Aplo aurait aménagé dans un usine désaffectée de Satigny. Elle exige que je lui dessine un plan du bâtiment. J’explique: Aplo n’entre pas dans les étages, il grimpe par l’échelle du feu et monte sur le toit, il y a des édicules à ce niveau: arrivée des cages d’ascenseur, machinerie, tours d’air conditionné. Mais le jour où j’ai accompagné les enfants, j’ai failli me rompre le cou: la police a scié les dix premiers barreaux de l’échelle pour interdire l’accès à l’usine, il faut agripper à plus de deux mètres de hauteur un morceau de tube, se balancer et se hisser.
Le lendemain, sur l’Alpe, effrayée par les cochons, elle tourne la voiture, démarre, revient en arrière et par la vitre baissée:
- Si j’apportais une chaise?
Trous
L’armailli voulait-il dire, les trous? Car dans le cirque de montagne que ma tente surplombe il y a des trous. Je m’y suis penché. L’embouchure est étroite, le fond à plusieurs mètres. Des fleurs rouges et bleues poussent à travers les éclats de pierre. Si ce sont des météorites, où sont-elles?
Thé
Dans la maison de mes parents, chacun appelait plusieurs fois par jour à boire le thé. Toute activité cessait. Les tâches étaient interrompues, ceux qui étaient en chambre rejoignaient le salon. Assis dans les canapés ou autour de la table, nous buvions plusieurs tasses et finissions de la théière. Ma grand-mère, quand j’allais chez elle, avait un rythme plus soutenu. Elle faisait bouillir de l’eau une première fois au milieu de l’après-midi puis toutes les vingt minutes. Si nous regardions la télévision, elle passait le même temps au service et devant l’écran. Une fois le poste éteint, elle remplissait une dernière théière et je lui racontais le film.