Mois : avril 2013

Gens qui courent. Messieurs, à la rigueur, mais femmes avec des bébés? Ces places tran­quilles qui changent de lumière pen­dant le jour.

Voilà trois ans que j’ai sous les yeux une carte en relief de la Suisse et j’ig­nore tou­jours où sont les villes, les lacs, les pics. Je ne la regarde pas. La ques­tion est de savoir si on peut regarder une carte.

Gala me suiv­ra partout où elle peut se trans­porter sans rien chang­er à sa vie. Ce que j’au­rais dû percevoir avant l’achat du pres­bytère de Lhôpi­tal. Emporté par mon ent­hou­si­asme, sûr de mes forces, j’ai passé out­re et cela m’a valu de me retrou­ver avec la mai­son sur les bras. Avec le recul je n’ai sou­venir que de deux péri­odes: celle où je tra­vaille d’ar­rache-pied à démolir et bâtir, celle où seul dans la mai­son, inca­pable de dormir, je fais du vélo, je bois et fume en fix­ant les Aravis.

Exer­ci­ce au pis­to­let en mat­inée, au fusil d’as­saut l’après-midi. L’in­struc­teur a sa méth­ode: l’a­gres­sion. Il sanc­tionne la moin­dre faute, rabroue qui la fait. Pour ce faire, pose des ques­tions sans répons­es.
- Tu dégaine comme ça, et l’en­ne­mi pen­dant ce temps, il fait quoi? Il attend? L’en­ne­mi attend? Répond! Que fait l’en­ne­mi? Mon­tre aux autres ce que tu viens de faire!
Psy­cholo­gie mil­i­taire. A la boxe, pareil. L’Arabe qui enseigne les coups tance et
 punit.
- Tu n’as pas ta corde à sauter? Où est-elle? Oubliée? Qu’est-ce que ça veut dire oubliée? Elle est où? Vingt pom­pes!
Je ne peux me retenir, je ris. Mais je suis le seul. Les autres boxeurs, appren­tis et ouvri­ers la plu­part, en par­lent jusque dans les douch­es.
Pour le tir au moins, il est vrai, tout relâche­ment de la dis­ci­pline peut aboutir au drame. Ain­si que l’ex­plique l’in­struc­teur de bon matin, sur le champ de tir, alors que nous trem­blons de froid: une balle à tra­vers la main et vous vivrez avec un moignon jusqu’à la fin de vos jours.

Gala à qui j’en­voie des annonces de vente pour des maisons dans la cam­pagne d’Av­i­la et un apparte­ment près des murailles, sans ironie.
- Ce serait bien, nous iri­ons deux fois de l’an pren­dre un petit-déje­uner sur la place San Pedro.

Mon voisin au club de boxe.
- Je marche.
- Où ça?
- Dans l’Hi­malaya.
Et la serveuse de dis­cothèque.
- Same­di je vais aux îles Sen­guigui.
Et moi.
- Ah oui, je con­nais bien. D’ailleurs j’ar­rive de Java.
Ici se con­fondent bon­heur et cauchemar.

“Attaque de dili­gence” d’une rame de RER en ban­lieue parisi­enne. Pas­sagers vio­len­tés et détroussés. Et plus près de nous, à Lau­sanne, bataille rangée entre cent cinquante indi­vidus. Ten­ta­tives dés­espérées de recon­stituer un moi dans une jeunesse qui doit aller au choc pour se con­va­in­cre qu’elle existe.

Pris en main l’Al­manach des mus­es de Chris­t­ian Désag­uli­er, cet ingénieur aéro­nau­tique et poète venu me dire il y a trois ans à l’oc­ca­sion d’une lec­ture au Point éphémère de Paris son admi­ra­tion pour les Diva­ga­tions. Ouvrage de mécanique lyrique, ambitieux et gon­flé d’in­spi­ra­tion. Les demi-som­mités que poussent sur les tréteaux les grands édi­teurs font pâle fig­ure en regard de ce style — je pense ici à l’én­er­gumène Olivi­er Cadiot — mais il est vrai que le cos­tume et les gri­maces suff­isent puisqu’aus­si bien per­son­ne ne juge de la poésie pour l’avoir lue.

Neige ce matin, pluie fine et enfin accalmie. Un soleil hési­tant réchauffe la cam­pagne genevoise. Les gens se plaig­nent de l’hiv­er, long, inter­minable, à rebonds, et atten­dent la Pâque. Ren­tré d’Asie il y a dix jours je pars lun­di pour Tor­re­vie­ja où j’ai pris loca­tion d’un apparte­ment sur la plage. Tra­vail­lé hier au dernier volet du Trip­tyque de la peur sur le gonzo pornographique espérant finir le man­u­scrit afin de me tourn­er dès l’in­stal­la­tion en Espagne vers un pro­jet irréfléchi.

Comme j’at­tends le train sur le quai de gare de Genève j’aperçois sur le quai opposé App­lo accroché à un réver­bère et entouré de cinq filles. Je le sur­prends, nous nous embras­sons, je m’en vais. Peu après il court à tra­vers gare et se jette dans mes bras.