Mois : décembre 2012

Le pro­jet de l’U­ni­ver­sité de la sin­gu­lar­ité de cal­culer le vivant est le dernier avatar de l’ex­ploita­tion de l’homme par le Cap­i­tal. Fondé sur le dual­isme philosophique (chez Descartes le corps séparé de la con­science  n’est jamais récupéré), ren­du pos­si­ble par la finan­cia­ri­sa­tion de l’é­conomie, il théorise au-delà du ghet­to (rich­es séparés des pau­vres) deux espaces séparés: celui des esprits (les reje­tons de l’élite) qui inter­agis­sent par des cal­culs et celui des corps esclaves du tra­vail, de la souf­france et de la mal­adie (l’hu­man­ité telle qu’on la voit aujour­d’hui). Ou plutôt un espace-monde et un non-espace dont la pré­fig­u­ra­tion est le virtuel, le pre­mier étant au ser­vice du second.

Drame de l’im­mi­gra­tion, dont nous sommes les vic­times silen­cieuses. Les maîtres sont à table. Par char­ité, par intérêt, par lâcheté, par cal­cul, ils con­vient à dîn­er la cuisinière, la femme de ménage et le garde-chien. Le per­son­nel ne veut pas. Les maîtres insis­tent. Le per­son­nel se résigne, finit par s’asseoir. Aus­sitôt stu­peur des maîtres, ces gens-là man­gent avec les mains ! Les maîtres se con­sul­tent: s’ils ren­voient le per­son­nel dans ses quartiers, c’est la guerre. Ils fer­meront les yeux. Mais fer­mer les yeux ne suf­fit pas, le per­son­nel mas­tique et grogne. Alors les maîtres renon­cent à leur places et quit­tent la salle.

Beauté sim­ple des  gamines qui étu­di­ent les math­é­ma­tiques sur les tables du réfec­toire de la Mis­éri­corde. Leurs vis­ages liss­es, leur regard ouvert, ren­dent vis­i­bles par défaut les attaques de la vie.

Lors de la pub­li­ca­tion des Trois diva­ga­tions sur le Mont Arto, l’édi­teur Alain Berset m’a fait acheter cent exem­plaires du livre, exi­gence dont je relève aujour­d’hui seule­ment la médi­ocrité. Médi­ocrité et pré­ten­tion: ne pou­vant vivre de son tra­vail, au demeu­rant excel­lent mais dont le marché hélas n’a que faire, la per­son­nage exige que l’au­teur rétab­lisse à ses dépends une sorte d’in­jus­tice dont il se sent vic­time. Il ne m’é­tait pas venu à l’idée (et il ne peut venir à l’idée de cet édi­teur) que ce raison­nement a valeur expo­nen­tielle pour l’écrivain, mais surtout, que pour pay­er cette somme, je col­lais alors des affich­es à vélo dans Genève dès 3 heures du matin.

Longue con­ver­sa­tion avec un ado­les­cent qui joue de la gui­tare et veut devenir pilote. Intel­li­gence en éveil mais car­ac­tère sans audace, lim­ité par son milieu d’o­rig­ine. Nous rejoint alors sa mère, vol­u­bile, péremp­toire, bête. Elle bous­cule la con­ver­sa­tion, s’im­pose. Seule réponse face à cette bêtise, l’ap­pro­ba­tion — dire “oui” et encore “oui”. L’ado­les­cent s’aperçoit-il du manège?

Chercher à dire ce que l’on croit vouloir dire en manip­u­lant les mots dans la phrase pour enfin dire ce qu’on imag­i­nait pas savoir. Rai­son pour laque­lle il n’y a pas de lit­téra­ture hors l’écri­t­ure, rai­son pour laque­lle on devient écrivain en écrivant.

Nour­ri­t­ure bas de gamme des étu­di­ants de Fri­bourg  dont les cir­cuits de puis­sance — de la Gare à Pérolles et de la Gare à St-Michel — sont ponc­tués de kiosques à kebab, ham­bur­guers, pani­nis et piz­zas. Sous mes fenêtres, une vente de pâtes que les étu­di­ants dégus­tent debout à même un gob­elet. Rançon de ce com­merce, le jeune homme qui en est le pro­prié­taire con­duit un coupé Mercedes.

Méth­ode d’écri­t­ure enseignée par Alain à ses élèves qui con­siste à ne jamais se repren­dre et à cor­riger sa pen­sée dans la suite du dis­cours, méth­ode appliquée  par Simone Weil, dit-on, dans la rédac­tion de ses essais.

Pré­cip­ité dans un couloir tapis­sé de souriceaux que j’écrase lorsque je pose pied. Je gagne la porte opposée et tombe dans une riv­ière tumultueuse. Soudain un mécan­isme inverse le courant et une vague de merde me propulse aux bras de mon amoureuse vers l’a­mont où m’ac­cueille un archipel minia­ture faits de criques. Je nage alors sans entrain, découragé par l’é­ten­due des lieux et le désagréable sen­ti­ment d’ex­plor­er les pages d’un prospec­tus pour touristes.

Pou­voir, ambi­tion des faibles: ne serait d’au­cun souci, s’il n’avait à s’ex­ercer sur les forts.