Mois : décembre 2012

La foi, sur laque­lle il ne faut rien con­stru­ire. Pur con­stat de ce qui est. Con­stat, pas accep­ta­tion. Dans ce genre: la pomme est une pomme.

L’in­for­ma­tion nous tient dans ses filets. Quand à se débat­tre, cinu­tile. Immatérielles, ses mailles sont partout. Cap­tiv­ité élec­trique qui nous isole.  Pareille­ment des corps. Entassés dans les trains (économie de wag­ons) ou dans des voitures qui s’en­tassent (syn­chro­ni­sa­tion de la masse des tra­vailleurs en un même lieu et en un même temps). La para­doxe est con­sti­tué: seul on se retrouve.

Stat­ue de bronze rue de Romont. Une femme enca­pu­chon­née grandeur nature. Cet été, les enfants m’ont fait remar­qué qu’elle pleure. En effet de l’eau goutte de son oeil gauche. Mais ses pleurs sont invis­i­bles quand il pleut: la femme ne pleure que lorsqu’il fait beau.

A Etan je dis mon inten­tion de pass­er trente jours sur la mon­tagne, couché sur le dos, les yeux fix­ant le ciel. Ce faisant je perçois le car­ac­tère religieux de l’in­ten­tion. Qu’il sai­sisse ou ne sai­sisse pas, Etan demeure indif­férent. Ou peut-être juge-t-il le pro­jet ridicule? Est-ce parce qu’il est pho­tographe? Aus­si pro­fond soit-il, un pho­tographe est tenu en respect par le réel. D’ailleurs, religieux ou mys­tique, sont des ter­mes inap­pro­priés. Il ne s’ag­it pas de se reli­er mais de se détach­er, de tomber dans le vide.

La ten­ta­tion du jour­nal­iste à l’ère numérique est de rap­porter les faits avant qu’ils ne se produisent.

Par­ler de rien est une prouesse pour qui sait parler.

Roulant dans la ville avec trente boîtes de bis­cuits dans le sac à dos je me demande ce que je fais — j’ap­porte un cadeau de Noël aux com­merçants qui héber­gent nos présen­toirs à papil­lons. Ils pren­nent la boîte, la con­sid­èrent, regar­dent ma cas­quette Affichage Vert, me remer­cient et je repars sous la pluie. Le sourire que je fais au moment de leur remet­tre la boîte me met de bonne humeur et me per­met de sourire avec plus de con­vic­tion à mesure que la tournée avance. Tout de même, je m’é­tonne de ce que je fais.

En juin, comme nous tra­ver­sions à vélo le Por­tu­gal et l’Es­pagne de Por­to à Ali­cante, nous avons soudain plongé dans un val­lon bruis­sant de feuil­lages où aucun homme peut-être n’avait jamais marché et les odeurs étaient si vives que le monde habituel m’ap­parut privé de vie. Aus­sitôt me vint le pro­jet de créer à tra­vers un texte une géo­gra­phie des zones en fonc­tion de leur par­fum: vierge ou inodore, empoi­son­né ou arti­fi­ciel, et de décrire les quelques lieux d’Eu­rope qui n’ont pas encore été déflorés par la civilisation. 

Lhôpi­tal, août 2012 — fâché d’avoir la vue prise par des ronces, des fram­boisiers sauvages et un noiseti­er qui s’élèvent à plusieurs mètres cachant les Aravis et le Mont-Blanc, j’écris pour la troisième fois au pro­prié­taire des champs pour me plain­dre que son homme de main, paysan dans le vil­lage de Chanay,  con­tourne chaque année d’un peu plus loin, per­ché sur son tracteur, la mau­vaise herbe pour n’avoir pas à s’y atta­quer. Quand je m’aperçois que je ne sais plus le nom de ce pro­prié­taire. Je vais à la mairie me ren­seign­er. Elle est fer­mée. Je vais chez les maire. Il est absent. J’écris au maire. Il me répond qu’il n’est pas de sa respon­s­abil­ité de m’in­former des noms et qual­ités des autres vil­la­geois et que je peux me ren­dre au cadas­tre. J’écris une recom­mandée pour exiger de savoir le nom de mon voisin. Une avo­cate, engagée par le maire, me répond que M. le maire de Lhôpi­tal n’est pas tenu de répon­dre à ma ques­tion. Je fais savoir à l’av­o­cate de M. le maire de Lhôpi­tal que j’of­fre volon­tiers (et gra­tu­ite­ment) à M. le maire de Lhôpi­tal le roman admin­is­tratif de l’écrivain sovié­tique Alexan­dre Zinoviev à des fins d’éd­i­fi­ca­tion. Aujour­d’hui, six mois après cet inci­dent (et la coupe à la sueur de mon front des arbres du voisin), je reçois du Tré­sor la taxe d’habi­ta­tion qui cou­vre les frais de la mairie.

Inspec­tion du monde intérieur dont on croirait qu’il ne reste rien que la con­science de s’y être livré alors que les con­séquences sont nom­breuses et d’abord sur le monde réel, le monde com­mun, le l’autre dont part l’in­tro­spec­tion. La qual­ité du regard porté sur le monde com­mun change. De même change la capac­ité à dire de façon com­plexe ce qui paraît sim­ple, et peut-être, à force, de dépass­er le com­plexe pour aboutir au sim­ple, ce sim­ple-ci ne devant rien à ce sim­ple-là, l’un étant apparence, l’autre vérité. Mais encore, par l’in­tro­spec­tion, le renou­velle­ment des out­ils de l’ex­plo­ration et leur plus grande portée, de sorte que le monde intérieure présente sans cesse des attraits nou­veaux. Enfin, dans une approche mys­tique de la géo­gra­phie, la représen­ta­tion de ce monde intérieure comme pos­sé­dant les lim­ites que l’ef­fort d’ex­plo­ration, en le par­courant, fixe.