Mois : février 2011

Il y a cinq ans elle se mari­ait. Ce matin, une let­tre. La pre­mière en cinq ans. Elle voudrait que je ras­sure. Elle véri­fie que je suis là. J’y suis et je réponds sans ambages. Longue­ment. Les jours passent, pas de réponse. Il n’y en aura pas. Dans quelques années, elle regret­tera, comme elle a regret­té, sans rien en dire, aujour­d’hui. Jeu dont elle est la dupe.

La Suisse élit un représen­tant qui lui ressem­ble, c’est-à-dire sans com­pé­tence poli­tique ni capac­ité à gouverner.Cette rela­tion entre des sans-statuts est fondée dans l’his­toire des Wald­stät­ten. Pas de hiérar­chie (les Hab­s­bourg par­tent faire foir­tune à l’é­tranger), de la prag­ma­tique. Ain­si le gou­verne­ment devrait s’ab­stenir de don­ner de la voix dans le con­cert des antions. La dérive actuelle est le résul­tat de la van­ité d’un per­son­nel piégé par la mon­di­al­i­sa­tion. La Suisse pour­rait être envis­agé comme un mod­èle uni­versel à ne pas suivre.

Gosse autiste sous les palmiers. Anglais. Des lunettes-loupe tenues der­rière la tête. Ses par­ents le suiv­ent à la trace. Le serveur thaï­landais de l’ho­tel, qui ne s’est pas aperçu qu’il était malade, me dit amusé:
- Depuis qu’il est arrivé sur l’île, il n’a fait que regarder par terre.

Lorsqu’un français ne trou­ve plus les moyens de jus­ti­fi­er ses man­que­ments pro­fes­sion­nels, il les mets sur le compte de ses déboires affec­tifs, matériels, con­ju­gaux, sur lesquel, par principe, vous n’avez aucune prise.

Ecrire sans peine sur des sujets de com­mande (j’au­rais dû m’en avis­er en écrivant la biogra­phie de Susan Boyle) est un hand­i­cap: on se per­suade que le sujet qui s’im­pose n’est que dif­féré avant de s’apercevoir qu’on s’en est physique­ment éloigné.

A Fri­bourg, les voisins paysans. A la retraite depuis un an, ils n’ont gardé que quelques vach­es pour usage per­son­nel. Pour l’apéri­tif que fait ma mère, ils appor­tent un saucis­son et un paquet de bis­cuits. Lui mar­qué par le tra­vail au botte-cul, sous les bêtes a les épaules déjetées, le men­ton sur la poitrine et sur le ven­tre. Lorsque nous par­lons d’une mai­son dans la cam­pagne alen­tour, ils la situent lui et sa femme, dis­ent le nom de celui qui y habite, le nom de ses par­ents, de ses grands-par­ents et les états de cha­cun, leurs méti­er, leur nais­sance, leur mort. Au fil de la con­ver­sa­tion, il appa­raît que tous ces gens, jusqu’à Romont, appar­ti­en­nent de près ou de loin à la même famille. Mais “aujour­d’hui, on ne con­naît plus per­son­ne.” Puis nous par­lons du temps qu’il fait. Chutes de neige excep­tion­nelles ces deux derniers mois. J’ap­prou­ve (d’ailleurs, hier, jour de Noël, je n’ai pu rouler jusqu’à la mai­son de ma mère, des con­gères bar­raient le route, la camion du lait venait de faire une embardée.) “Le pire, dit le voisin, c’é­tait 1956”
- Cette année-là, il a fait ‑37. Mon cousin, qui était appren­ti ferblantier, n’a pas pu redescen­dre à Oron à pied. Il avait que des socs aux pieds, alors le patron l’a mis à dormir dans la grange, ema­bal­lée dans une cou­ver­ture de cheval, au-dessus de la fontaine.”

La seule cri­tique lit­téraire recev­able est celle de l’écrivain qui ques­tionne son tra­vail ou le dia­logue entre deux écrivains. L’échange Miller-Dur­rel est par défaut l’un des meilleurs traités d’esthé­tique littéraire.

Une thèse à l’u­ni­ver­sité de Mont­pel­li­er sur les pièces de Nord­mann et les miennes. Invi­ta­tion à une lec­ture suiv­ie d’un débat. Je pay­erais pour échap­per à cette soirée. Au lieu de quoi je cherche le moyen de ne froiss­er per­son­ne. Ecrire des pièces pour les voir jouées, et les voir étudiées, et ain­si enterrées.

Frap­pé par le dif­fi­culté qu’il y a à trou­ver dans le lit une posi­tion favor­able au som­meil. Lorsque le corps est enfin artic­ulé de façon à repos­er, une démangeai­son au genou ou un sim­ple pli fait tout bas­culer. Et puis j’ai vécu avec des femmes qui s’a­soupis­saient aus­sitôt la tête sur l’or­eiller. A six ans déjà, dans locatif du quarti­er rési­den­tiel de Kaïvopouis­to, à Helsin­ki, où j’avais ma cham­bre, je me réveil­lais lorsque mes par­ents sta­tion­naient la voiture sur l’av­enue. Puis mon som­meil est devenu plus léger. Une feuille tombe, du poiri­er, dans le jardin, j’ou­vre l’oeil.

Avoir rai­son tou­jours, atti­tude épuisante qui exige son lot sac­ri­fi­ciel et rend à la fin inac­ces­si­ble la soli­tude, lieu des sources intérieures.