Qu’une femme vous admire, aussitôt il faut garder de se faire connaître.
Mois : avril 2009
En 1983 j’allais en Espagne. Le passage de frontière se faisait à l’aube, les yeux fermés, dans Port-Bou, et à Santz, gare nouvelle de Barcelone, les trains bloquaient. En surface, autour du bâtiment dont on décrochait les échafaudages, était un terrain vague et même plusieurs. La saignée avait supprimé deux ou trois blocs de maisons. En bordure les autres étaient restées et les indigènes de banlieue, tranquilles, sortaient leur chaises de paille devant les négoces. A celui qui vendait des alcools et des bonbons nous avons pris trois bouteilles de champagne que nous avons sifflées dans la halle de gare en recomptant notre argent de poche et un garde-civil, émoulu fraîchement de la dictature, m’a conduit au poste pour me tirer les oreilles et me menacer de je-ne-sais quel pouvoir qu’il venait de perdre par le retour du roi.
C’estlui qui monta les cartons, les ferma au scotch. C’est elle qui alla chercher l’eau, c’est lui qui remplit le cartons. L’eau se répandit sur le sol. Vers dix heures, le plancher changea de consistance, plus tard il y eut un craquement, c’était l’eau dans le lustre.
La voisine était absente, la vieille dame, à l’hôpital, pour sa folie, pauvre vieille dame. Le craquement fut suivit d’étincelles.
Ils ne le savaient pas de façon certaine, aussi lui dit-elle de continuer à remplir les cartons d’eau. Un quart d’heure plus tard, le plafond de la vieille dame brûlait. Il alla s’asseoir. Elle ferma les fenêtres, les portes et alla s’asseoir à son côté.
Les jours suivants, dans le quartier, entre autres rumeurs, on disait de l’enquête qu’elle ne progressait pas car le chef-inspecteur, déjà internveu pour tentative d’incendie dans l’immeuble avait toujours imputé le départ de feu à la vieille dame et celle-ci, sa fiche d’hospitalisation le prouvait, était alors absente.
Mon père dit, j’ai cherché ma vie durant comment ne rien payer. C’était difficile, et ça l’est plus encore aujourd’hui. Mais on finit par y arriver.
Là-dessus il se lance dans des spéculations à partir de ma posture (difficile) qu’il a préalablement étalée. Et ce qu’on sent c’est un immense espoir d’arriver au bout de cette spéculation victorieux. Ce qui lui permettrait de recommencer aussitôt une autre spéculation. Variante du jeu.
Mais le meilleur est à la fin. La cloche sonne, il faut quitter le salon. Ce que nous faisons à pied, jusqu’aux caisses automatisées où je paie le parking, puis tentons de faire en voiture, sur plusieurs étages signalisés, fléchés, peints, enrubannés et policés, sans comprendre les flèches, les signes, les étages ni la direction de sorte qu’il y a bientôt un cortège de quatre, de cinq voitures aux occupants énervés et hilares qui enfoncent leur klaxons pour faire appraître la sortie.
Donner sur le le salon du livre le point de vue de l’écrivain. Pour bien dire, de l’écriture. Et que voit-on? La défaite de ce qui porte l’écriture : le travail, l’inspiration, la résistance. Pour occuper le terrain: des saucisses, de la musique, des ballons, des piles de magazines, de téléviseurs. Une foire et l’envie de rentrer chez soi ou, tétanisé, l’envie de demeurer là où on est parvenu, devant ou derrière un stand de livres.
Après quelques verres, je fais un pas, puis deux. Daniel de Roulet est sur l’estrade. J’ai failli ne pas le voir or je ne l’ai jamais vu. Poignée de main, il y a des lettres entre nous. Je soulève son livre et par honnêteté le repose: que puis-je en l’occurence ?
- Vous avez signé?
- Non… non.
Je lui confirme que moi non plus l’an dernier… ou le précédent. Nous avons la fonction des épouvantails, attirer le regard sur un point précis du champ.
Nous discutons alors course à pied et vélo. De Paris aussi, la banlieue traversée à pied et dont chacun de nous a tiré des textes, approche très suisse.