Longue journée de fatigue. Réveillé tôt, j’ouvre la fenêtre pour écouter les oiseaux. Des nuages stationnent au-dessus de l’église. Le soleil est rare. Qui chante ce matin? Pas les oiseaux préférés et je n’ai pas faim. Après cinq tasse de café Samaiza et la prise des nouvelles du méchant monde (dans la littérature officielle et dans l’insurrection), je prépare mes sacs: bouteilles vides de Skol, bottes de pêcheur pour traverser la rivière, dans le sac à dos les ordonnances de pharmacie et le courrier pour la Société Suisse des Auteurs et la recommandée à sa régie vaudoise qu’Evola m’a fait imprimé; le Hernán Cortés de Salvador de Madariaga et un haut de coton thermique pour dormir la nuit en forêt dans la valise souple . Montaño est à l’heure. Il toque. “Les photos de combat?”. Une fois encore je le remercie pour son travail. Le VTT est dans la rue. Nettoyé, présentable, plus que présentable. En 2015, j’ai couru les 101 kilomètres de la Légion de Ronda avec ce VTT. Montaño l’admire, “Tu permets?”. Il part l’essayer. Au tournant de la rue, pile devant la fontaine: “Alexandre, tu me dis que tu descends à Puente? Tu sais qu’il y fête, que le cortège bloque la route?”. J’appelle Evola: “annule le rendez-vous, tout est fermé!” Evola embêté: “moi qui venais me ravitailler, j’ai plus un radis à Piedralma…” Puis il avait à poster sa recommandée. Celle que j’ai imprimée, que j’apporte. Montaño réapparaît. Haletant, il dit: “j’ai grimpé le sentier du Renard, nom de Dieu, une merveille ton vélo!” Pour ne pas l’embarrasser, j’ai articulé le prix de vente avant qu’il ne se mette en selle. Maintenant, il demande: “Tu es sûr?”. Car c’est trois fois moins que le prix du marché. Hier avant de me coucher, j’ai acheté un surf Bic 7.2 à une fille du pays basque. Vases communicants. Et depuis que j’ai manqué mourir du cœur sur la plage de Malaga en novembre 2022, je ne monte plus les murs à VTT. Voilà: Montaño s’en va, il va être midi, d’habitude l’heure à laquelle je me réveille. Un assiettée de pâtes et j’allume un feu. Je me répands sur le canapé, je lis (Hernán Cortés), je dors. Cette fois c’est pire, je suis vraiment fatigué — je me traîne. Après quarante kilomètres de vélo et deux litres de bière, c’est mieux, j’écoute une conférence sur Le filtrage cognitif, je me remets, et je cuis des patates, je parle à Gala, je parle à Evola (j’irai demain dormir dans la forêt), j’allume un autre feu.
Esprit 2
Ce que j’utilise, sais que j’utilise, sens que j’utilise et dont je perçois les effets d’utilisation existe. La charge des positivismes logiques contre l’esprit est une argumentation du type ontologique. En tant que charge construite par l’esprit, elle établit a priori l’existence de l’esprit qu’elle nie. Du point de vue de la morale, c’est à dire de la perfectibilité de l’humain, il est logique et juste de reconnaître cette chose nommée “esprit” qui seule permet à l’homme de faire exception parmi les vivants. Dès lors il convient de la dire existante et d’en accroître autant que faire se peut l’utilisation.
Logique de Russel
Bertrand Russel prend la parole. Dans la salle, un chaos de chaises. Pas un élève ne regarde dans la même direction. Quelques uns tournent le dos au maître qui dit: “soit une carotte, soit une tomate, en relation avec une autre carotte cela fait carotte-tomate-carotte”. La déception se lit sur les visages. Russel rétorque: “oui, c’est ça la philosophie”. Mon impatience augmente car il ne peut me faire passer l’examen avant d’en avoir fini avec la leçon. Il me surprend lorsqu’il déballe le vinyle du groupe Boston dont il veut me faire cadeau. “Je l’ai aussi ce Picture-disc, lui dis-je, mais le vôtre est un 45t, c’est épatant!”. Sans transition Russel pose alors une question-piège. A laquelle ne sachant répondre, je réponds: “n’y a‑t-il pas confusion? Je veux dire, n’êtes-vous pas en train de poser une question de philosophie à la fois sur le disque et sur le problème carotte-tomate?”. Mon directeur de thèse approuve, il y a erreur. Ce que ne semble pas admettre Russel qui tire de sa tunique une petite scie circulaire. La lame mord mon visage, je me réveille. Pendant quelques secondes, je ressens une douleur à la lèvre. Je me rendors. Russel dit: “Vous voilà! Reprenons l’examen!”. Il enfonce une curette de dentiste dans ma bouche pour gratter mes dents. Je me réveille, pour chasser la douleur je passe la langue sur les dents.
Direction Transylvanie 3
Le train atterrit enfin à Cluj et je vais à pied. La ville n’a pas allumé ses réverbères. La perspective est indécise. Je sais où mène le boulevard, mais ce soir je ne vais pas à l’appartement Einstein, j’ai réservé une chambre “stada” Ion I.C. Marianu no 21–23. Je cherche l’immeuble sur un plan photographié, me repère au nom des boulevards. Les plaques de rues ne sont pas autorisées sur les bâtiments historiques et au centre, des bâtiments historiques, il n’y a que ça. Je navigue de gauche de droite, dans le noir. J’allume la torche de mon téléphone, j’éclaire les recoins. Voilà le 19. Deux pas et c’est le 24. Entre deux, rien. A Cluj, les portes cochères ouvrent sur de vastes cours. Dans les buissons et sur le pavé s’ébattent les poules. Les boîtes aux lettres sont défoncées, les portes creusées au hasard. De la main j’écarte une branche et découvre un adolescent sur une dalle. Sans lâcher son jeu électronique, il m’explique qu’en Roumaine “c’est de l’autre côté”. Providentiel cet adolescent. Dans mon impatience, j’ai même oublié qu’il ne parlait pas l’anglais. Il le parlait. Je regagne la “stada” Ion I.C. Marianu et marche à l’envers dans l’obscurité. Cette fois une plaque indique le 21. Sauf qu’il y derrière la porte cochère dix boîtes à chiffres pour les clefs. Le propriétaire a envoyé une photographié de celle de son appartement, je veux dire la chambre. Il existe trois boîtes de ce modèle. Je trouve la clef. La chambre est au troisième étage, la porte 19. Elle n’existe pas. Je redescends, je remonte. Troisième étage, j’y étais et j’y suis: portes no 12 et 49. Alors, je découvre qu’il y a en galerie, au-dessus de la cour de ferme, les autres appartements, numérotés de 12 à 49, façon appartements collectifs de l’ère des soviets. A l’aide d’un coussin, j’essuie la sueur qui coule sur mon front et j’appelle Gala. Un vieillard en culottes ballantes toque à ma porte. Il dormait, je l’ai réveillé. Il m’envoie un baiser. Des mouettes crient dans le ciel. Il n’y a pas de mer. La rivière Somesul charrie à travers Cluj des eaux jaunes. Sous le pont d’Horea, près d’Einstein, on voit un petit bunker à demi-immergé. Les mouettes l’habitent.