Été sans prise de notes, tout entier consacré à bâtir la cabane sur le terrain de Piedralma et à corriger des manuscrits. De retour de Hyères, j’avertis Evola: je consacre le mois de juillet au chantier puis rentre à Agrabuey pour mes corrections. Cela dit, j’installe le van sur la dalle géante, je sors table et chaises, fais ma chambre sur le toit du van. Puis je considère le dôme. C’est un couvert de tôle qu’a laissé l’ancien propriétaire. Ouvert côté terrain, fermé côté rivière, il s’en servait comme remise. Le projet est de rallonger la chape pour poser une terrasse de bois avec rambarde, dresser une façade ajourée avec sa porte d’entrée, répartir dans le volume un lit, une cuisine, une douche. Le robinet qui amène l’eau de la source est à trois cent mètres, devant la caravane d’Evola, la rivière à deux cent mètres, au bas de la pente, il n’y a pas d’évacuation et il il faudra connecter les panneaux solaires pour électrifier, mais le plus difficile sera de composer avec la forme en demi-sphère du dôme qui de surcroît est irrégulière car le propriétaire à commis une erreur: l’une des arches en tube est plus courte d’où un édifice affaissé. Les premiers jours je dessine, je mesure, je reporte les repères sur le bâtiment. Ensuite je réfléchis aux matériaux. Dernière fois que j’ai entrepris de construire, c’était il y a quinze ans, dans l’Ain. Les informations reviennent : nom des outils, des matériaux, temps de séchage et proportions, résistance et densité. Mais l’été espagnol est là. Terrible. Les sangliers se terrent. Les milans volent haut. La chaleur est suffocante. Tard couchés, tard levés, il reste deux heures pour travailler. Ensuite, il faut se mettre à l’abri. A chaque instant, nous barbotons dans la rivière. D’ailleurs le niveau baisse à vue d’œil. Depuis fin juin, pas une goutte de pluie. Le soir, léger mieux: brève séance de chantier avant l’apéritif. Toujours à creuser. Nous creusons devant le dôme. Chaque cinquante coups de pelle, il faut boire. Plus d’une fois s’accroupir pour éviter les vertiges (la tôle renvoie la chaleur, le jour la température avoisine les 40 degrés). Le trou aux bonnes dimensions, nous cherchons un maçon. Premier village à douze kilomètres. Renseignements pris, personne ne veut venir. A l’autre bout de la vallée, comme nous tentons de faire réparer le générateur d’Evola (la première année à Piedralma, c’était toute son électricité), j’avise au bar des camionneurs un type qui à l’air d’un maçon. “Je vous rappelle!”. Il ne rappelle pas. Alors nous calculons des quantités de sable et de ciment. Au dépôt le plus proche, l’ouvrier annonce qu’il nous faudra 5’000 kilos de mélange. Problème, le chemin est cabossé, la rivière périlleuse. Si le camion décharge sur l’autre berge, il serons contraints de peller dans la Nissan d’Evola, de mettre bas sur le terrain puis de à nouveau peller dans la bétonnière, chacun d’entre nous soulevant 7500 kilos. La solution, des sacs de 25 kilos. Nous passons commande. Le jour prévu, encore au lit sur mon toit de van, j’attends que résonne le coup de Klaxon du chauffeur. Il n’y a pas de réseau dans la vallée. Quand le Klaxon retentit, nous sautons en voiture, traversons la rivière. Le chauffeur-livreur décharge des poutres de sept mètres, des rouleaux de laine de roche et 144 sacs de mortier. Quarante la semaine suivante. Vingt celle d’après. A la fin juillet, la chape est enfin coulée, j’ai des carrelets pour la façade, j’ai récupéré dans une benne des fenêtres. Mais il est temps de rentrer. À Agrabuey, il fait à peine moins chaud. La mairie envoie des alertes incendie. Deux vallées plus loin, le mont brûle. Demi-nu à ma table de travail, je corrige L’ennui de parler avec les êtres humains. Les derniers jours du mois j’ai une satisfaction: le chantier est démarré, le toit ne fuit plus et je vois l’ordre des tâches telles qu’elle se succéderont jusqu’au dernier coup de pinceau — je me remets à mes corrections.