Régime

Pris­on­nier d’un effon­drement général dans le mou, l’indis­tinct, le vul­gaire sous la com­mande d’une élite de pacotille qui, tel un receleur, impose à la société d’Oc­ci­dent un régime qui amène les êtres à se quit­ter, se mor­fon­dre, se renier (régime de sépa­ra­tion, d’a­ban­don, de reniement qui lui per­met de s’af­firmer, elle, cette pacotille, dans la splen­dide médi­ocrité de sa dom­i­na­tion monétaire). 

Cornavin

Au camp­ing de Munte­lier — ce matin, forte pluie sur le lac de Morat. Dès que je coulisse la porte du van j’en­tre dans la boue. Le ciel gronde, je vais aux douch­es, les feuil­lages crépite, je démarre. Sous le sole pleureur, abritée sous les péda­los une famille. Elle est arrivée la veille. Les par­ents ont dor­mi dans le cof­fre de la Dacia, les goss­es dans une tente de toit. Tous ruis­sel­lent. La famille décampe. Un hausse­ment d’é­paules, signe que je com­patis, je salue et j’ac­célère. A Neuchâ­tel, je livre à ma fille Luv l’al­i­men­ta­tion que je lui ai prise en Bav­ière (parme­san flo­rentin, tape­nade grecque, den­ti­frice quadrichromie, tomates sèch­es, de l’huile, des noix et une boîte de vit­a­mines au mag­né­si­um qui est… vide — le con­tenu volé avant l’achat) et prends la route pour Genève. Cor­navin, place de la Gare, je plonge dans le park­ing souter­rain, me fau­file, avance et recule, hésite à ressor­tir, manœu­vre. A la bou­tique Bucher­er, de l’autre côté du Pont du Mont-Blanc, Aplo me reçoit en cos­tume et cra­vate. J’ai fait un effort, j’ai passé une chemise (lors de ma dernière vis­ite à mon fils dans la Bahn­hof­s­trasse de Zurich, en Bermudes, chaussé de godil­lots, j’avais devant les vit­rines de mon­tres l’al­lure d’un clochard. Aujour­d’hui je suis détrem­pé.) Aplo me présente aux col­lègues qui tien­nent les cinq étages de la bou­tique, jeunes hommes et jeunes femmes polis, bien mis, en plis. A la pause de midi, plongée dans un nou­veau souter­rain, celui des Cygnes, devant Cor­navin, souter­rain à la Piranèse blanc flu­o­ré qui fait cen­tre com­mer­cial et super­marché. Aplo scanne du Gruyères et de la saucisse au choux (des­ti­na­tion Espagne) et notre pique-nique. Mais où manger? Il pleut. Il pleut fort. Puis le mobili­er urbain répres­sif de Genève a dis­paru. Il n’y a plus rien. Plus de banc, plus d’ap­pui, plus d’au­vent — du moins autour de la Gare. Que des vocif­érants, des nègres, des allumés, des demi-aisés, des frontal­iers, des faux Suiss­es et des artistes de l’as­sis­tance et des touristes du Golfe. Ain­si va Genève. A la fin nous retournons au park­ing, mouil­lés et suant nous man­geons nos sand­wichs dans le van. Puis je prends la route pour Annecy et Greno­ble, Valence, Mont­pel­li­er. La pluie s’ar­rête. A vingt-et-une heures, je me gare dans un bois, der­rière une aire de repos, entre Toulouse et Tarbes, j’oc­culte le vit­rage, je dors. 

Suisse

Retour par Schaf­fouse, Les impres­sion­nantes Chutes du Rhin. Je fixe le belvédère sur lequel se tien­nent trente touristes. Il est sous les chutes, juste dessous. Des tonnes d’eau se déversent sur l’u­nique pili­er de sou­tien. Men­tion spé­ciale aux ingénieurs. Le soir, van instal­lé au bord du canal. Un Afghan qui blan­chit l’ar­gent de l’opi­um ouvre son restau­rant de trois étages pour nous servir un apéri­tif. Il est seul, bar­bu, en pyja­ma, jovial. Nous sommes seuls, avec notre apéri­tif. Les cou­verts sont mis pour 500 clients. Per­son­ne en vien­dra. A la sor­tie, je lui tends un bil­let de dix franc. Il l’empoche, il est con­tent, il est hilare. Il nous rac­com­pa­gne. Retour au camp­ing, je me baigne. Gala crie je vais pren­dre froid, dériv­er, couler. Nous cuisons des pâtes. La nuit un cor­beau vient manger dans la casse­role. Les autres ont fait juste, eux, ils ont fait a vais­selle, ils ont rangé. La Suisse. Ce pays. Notre pays. Pays con­traint. Me fascine le don des autochtones à se représen­ter cette société comme la meilleure (avant comparaison).

Bonheur 3

Com­mu­nier avec le silence, fab­ri­quer du rien.

Munich

De Bad Tölz, quar­ante kilo­mètres pour Oberfhöring, quarti­er des faubourgs de Munich per­ché sur les canaux de l’Is­ar. A l’hô­tel (un qua­tre étoiles pour hommes d’af­faires), récep­tion digne des esclaves de marché que nous sommes; après négo­ci­a­tion et fâcheries avec le per­son­nel métisse, Gala me pousse dans un bus munic­i­pal à des­ti­na­tion du musée Lenbach­haus, bus dont je redescends sous le regard incré­d­ule des voyageurs lorsque l’aimable pas­sagère qui assiste les touristes “français” que nous sommes dans l’achat des tick­ets annonce qu’il en coûtera Euros 15.- Dégoûté et furieux (mais con­va­in­cu de ne pas pay­er), j’achète une Augustin­er dans une sta­tion-ser­vice et nous par­tons nous promen­er dans l’Eng­lish­er Grat­en, mal­heureux de con­stater au bout de la prom­e­nade, der­rière le pont ancien, que l’auberge Au-Meis­ter, son jardin, son puits, son moulin, auberge où nous avons sou­vent fêté nos anniver­saires, est à l’a­ban­don et rongée par les herbes. Pour sauver la soirée, nous prenons table dans l’un des meilleurs restau­rants de la ville, le Freisinger­hof, nappes ami­don­nées, sièges de cuir, serveurs en livrée, vins fins, bour­geois en tenue — voilà qui est bien — et bal­ai de lim­ou­sines, et plats de céramique.

Bonheur 2

N’emprunter jamais les souterrains.

Itinéraire

Rompu à l’ex­er­ci­ce inces­sant de la recherche l’on trou­ve à se pouss­er aus­si loin que le corps sup­porte l’ef­fort de pen­sée lequel con­siste à méthodique­ment défaire ce qu’on a fait, désert­er ce qu’on a con­quis, dés­ap­pren­dre l’ap­pris pour recom­pos­er au futur une fig­ure de soi plus authen­tique et moins duplice.

Attitude

Ecrivain genevois “révo­lu­tion­naire” qui change de trot­toir lorsqu’il m’aperçoit. Ce ne sont pas mes opin­ions dont ils doute, mais les siennes dont il ne veut pas douter.

Bonheur

Se lever quand on veut. Tous les jours. Toute l’année.

Bavière 2

Refoulé de deux camp­ings. La chaleur a poussé les Bavarois vers les lacs. Grutensee, Weis­sensee, Mur­nau am Staffelsee, ils sont nom­breux, Les Bavarois aus­si. Et les enfant ne vont pas à l’é­cole, c’est same­di, ils pique-niquent avec papa et maman, tout est encom­bré, il y a des trou­peaux au milieu des routes, des camions, des tentes sur les grèves, les restau­rants croulent sous le poids des clients et les camp­ings, désolé, il n’y a pas de place pour vous. Huit heures de con­duite par des routes lumineuses, douces, pit­toresque, érein­tantes, nous atter­ris­sons à Bad Tölz. “Oui, il me reste une par­celle!”. Vic­toire. Nous y restons cinq jours. Pré­ci­sions, dès le lun­di nous sommes seuls, et Gala est ent­hou­si­aste. En août dernier, à Sala­manque, elle m’inci­tait à réfléchir avant d’a­cheter le van. Là elle trou­ve cela par­fait, les oiseaux, le voisins, les sap­ins, couch­er les ban­quettes pour faire le lit et cuisin­er dans la dinette, porter des san­dales et piss­er dans un uri­noir de gra­bataire, tout est par­fait, naturel, cou­tu­mi­er. Et que fait-on la journée autour du van? Rien. C’est tout l’in­térêt. Une expéri­ence : ne rien faire.