Monde en perdition. Ou partie de monde, la nôtre. Confrontée aux échecs que minent le projet d’expansion occidental de l’homme. Cette expansion, la race humaine nous en est redevable mais aujourd’hui elle trouve ses limites. Est-ce à dire que le schéma anthropologique ne serait que cela : une forme contraignante, une limite ? Notre partie du monde, victime de ses inventions, se noie dans la complexité de leurs effets: cela signifie-t-il qu’il n’y a pas de révolution possible du statut naturel par la conscience? Si cela devait être, je plaiderais sans honte pour le suicide dans notre partie du monde. Au nom de la même logique, la conscience, la volonté… D’ailleurs, c’est peut-être ce qui sous nos yeux se produit ces jours: des agents non-souhaités et malveillants, ambassadeurs proclamés de nom de notre partie du monde, fondent sur le corps social et le détruisent.
“Trials of the van occupanthier” 1
Bref périple à travers les campagnes de l’Aragón, de la Rioja et de la Castille. Monami est à Puerto Venecia dans la périphérie de Saragosse pour prendre son van d’une policière qui loue afin d’arrondir les fins de mois. Huesca, Sabiñanigo, j’ouvre la route. Le soir nous retrouvons Evola dans son carré de légumes de Piedralma. Nous allumons un feu. La nuit tombe. Nous dînons de poulet au citron sur la table troglodyte – cinq tonnes de pierre au bord du fleuve. La saison a été meilleure que l’an dernier. Ni dans la source ni dans la vallée l’eau ne s’est tarie. Une nuit au frais dans nos lits d’étages, sur le toit des California (Evola dort dans sa cabine), puis un soleil magnifique se lève. C’est l’heure de prendre la route du défilé pour Sos del rey católico, bourg perché sur un mont jaune. Monami a réglé nos walkie-talkie sur son poste. Nous guidons notre convoi à travers des déserts remplis de porcs. Quand les patrouilles de la garde civile grillent le réseau, nous gardons le silence : je vais devant et je guide. A l’étape, nous sommes dans un camping de semi-résidents, près de cette ville économique, triste et pourrie d’immigrés (pas que la Suisse qui se distingue) : Ejea de los caballeros. Balade sur des trottoirs qui rappellent un La Havane de carton-pâte et de désespoir pour trouver à manger. Restaurante El Salvador, seul havre à nourriture, dans une salle à manger peinte d’aquariums a la fresco où festoient des touristes français débarqués d’un bus à touristes français (un guide fait tinter son verre au moyen de la fourchette, il entame un laïus, que peut-il bien dire ?) et des ouvriers agricoles de toutes les couleurs de la terre. Mais le voyage est commencé ; le lendemain nous sommes à Villacoslada de Cameros, au pied d’un col à bois, sur un tertre où brament les cerfs et les elfes. Ici tous les paysans coupent le pin de Vinuesa qui est ensuite roulé par tombereaux vers l’Espagne industrieuse. En parlant de roulé… le propos était de reprendre (onze mois après l’infarctus) une entraînement de bon niveau. Je parle de vélo. D’abord j’imaginais rejoindre Finistera depuis Agrabuey soit 1200 kilomètres de vicinales. Puis j’ai pensé me déplacer à bord du van pour décrire une série de cercles dans les régions. Enfin – sans changer de motif, les cercles – j’ai proposé à Monami de m’accompagner. Evola nous rejoint, nous partons à trois. Mais je ne renonce pas au vélo. Le premier jour, de Ejea à Biel, j’ai roulé 84 kilomètres. Quel lieu ce Biel ! Une forteresse de pierre devant les Pyrénées. L’accès se fait par un pont romain. Des chevaux piaffent dans la mousse des berges, contre les pentes les moutons ressemblent à des flocons de pollen. Pour ce qui est des vivants en revanche, les nôtres, les humains, il y en a peu, très peu. Un cantonnier bardé d’orange. Il me guide jusqu’au bar, le Nevi. Où il n’y a qu’un menu, pour lui. La tenancière me remplit une assiette de « torreznos », de la peau de porc brûlée. Je mâche et repars vers le camping où attendent Evola et Monami. En route, les mêmes équipes municipales qui m’ont tancé à l’aller me tancent : « cette fois c’en est trop, quand tu es passé ce matin la route était déjà coupée, mais nous n’avions pas encore balancé le goudron, là il est chaud… là, si tu passes tes pneus vont fondre ! ». Bien. Et je m’excuse. J’empoigne le vélo, je m’écarte de la route, je pénètre dans un champ d’ail et porte mon Felt. « Comment c’était ? », demande Monami. Je le dis ici : « formidable ». Car je suis heureux de faire mon retour. Le cœur accroché à hauteur d’homme, qui bat son pouls, qui irrigue vers le haut, vers le bas, et l’esprit et les mollets. Vinuesa- j’en étais là ! Eh bien on s’en doute : il y a des bois, des cerfs, donc des montagnes. Cousines de Alpes. Et je vais monter. Au réveil, je bouts de l’eau pour le thé de Monami, nous partageons des œufs coque et tandis que je pars faire 18 kilomètres d’ascension, eux partent marcher sur les sentes. Le lendemain, nous sommes à Sad Hill Cemetery. Car je profite du voyage pour repérer des curiosités ibériques. Celle-ci est pseudo-hollywodienne et italienne, il s’agit du décor de cinéma créé en 1966 par l’armée de Franco pour le film Le bon, la brute et le truand de Sergio Leone. Cinq milles tombes, cinq milles croix. Disposées en cercle pour le duel de la scène finale. Fin de l’étape de ce jour, nous sommes à Covarrubias, village de maisons en cornières, en torchis, en bois rouge, village « parmi les plus beaux d’Espagne » dit le panneau, semé de fontaines et de puits, village aux rues pavées, au façades pavoisées (accroché de travers un drapeau norvégien sur l’hôtel de Ville) qui rappelle cette bastide de Gimbrède que j’aimais tant quand j’aimais encore la France. Nous roulons nos vans sur le site pour autocaravanes car le camping municipal que j’avais retenu — nous apprend un jardinier qui arrose les buissons — est au centre d’une querelle politique, il est ouvert mais fermé. Le matin, comme je dors sur le toit, dans mon duvet, décolle à grand renfort de soufflets une montgolfière. Et commence pour moi une nouvelle exploration à vélo. Quel pays ! Rouge et jaune, ensoleillé et brûlant, amical et hautain, paysage tracé par les dinosaures (pas si spectaculaires ces empreintes mémorisées dans le roc), couru par les odeurs des congrégations de porcs, de moutons, de vaches, terres marquées par autant de monuments que le chrétienté à bien voulu en faire tomber des cieux : ermitages wisigoths, monastères cisterciens, croix romanes et catafalques celtes. Que je traverse à petite vitesse, pour ne pas énerver le cœur, vingt ou trente kilomètres par heure. Et vient le soir, et c’est le drame. Evola et Monami sont partis en avant. Il se plaignaient. A juste titre. Pourquoi aller jusqu’à l’Atlantique ? D’autant que Monami a louer. Que les kilomètres loués sont onéreux. J’acquiesce. Mais Evola suggère le Nord. Navarre, Pays basque. Mais ce Nord-là est pluvieux, vert, coûteux, troué de tunnels et couverts de ponts. Alors quoi ? Eh bien oui. Allons‑y ! Mais — je dis — vous y allez, et je suis. Pas difficile puisque je fais du vélo : à la fin de la sortie j’ouvre mon coffre, je me douche avec l’eau embarquée et propre et content, je prends le volant, je vous rejoins. Ce que je fais. Et me retrouve dans la périphérie crasseuse de Burgos, la même périphérie crasseuse de hangars, d’enseignes, de décharges et de fast-foods que sur le reste de la planète capitaliste, bientôt furieux, aboutissant par la nationale sur une aire de camping aux Montagnes russes rouillées entre une autoroute et la… N‑112. Un lieu de tournage pour l’adaptation d’un roman-feluve de Stephen King. Monami m’accueille. Je hurle et menace de repartir. Je ne repars pas. Nous finissons la soirée entourés de vingt-sept chats affamés qui nous grimpent le long des jambes alors que je mitonne sur la cuisine de campagne un curry noix de coco acheté à grand peine par Evola et Monami au Corté Inglés de Burgos.
Grippe 2023
Mes voisins de la rue Victor Hugo, tous deux retraités des chemins de fer hongrois et paroissiens de Lehel dans le district XIII, un couple que je croise les mardis au petit bar du marché, ne donnaient plus signe de vie depuis huit jour (c’est elle que j’ai d’abord connu en décembre dernier lorsque je m’intéressais aux sculptures des anges de l’église — des horreurs en plâtre bariolé — pour un essai sur la représentation de l’invisible). Ce matin, je suis au petit bar que nous fréquentons tous. Soudain, je me penche par-dessus la balustrade sur la fosse aux légumes et du côté des vendeurs vietnamiens l’aperçois, lui, un masque en travers du visage, occupé à acheter des fiasques de vodka. Je dévale l’escalier, je vais à sa rencontre. Il fait un pas de retrait. “J’ai le Covid”. Ah, lui dis-je, mais tu as quoi exactement?. “Rien, aucun symptôme”. Mais alors, lui fais-je, comment sais-tu que tu as le Covid?”. Aletta nous teste chaque matin. Pauvres Csanád et Aletta, quatre fois vaccinés! Au fond, avec cette merde, c’est comme pour Dieu, il n’y a que les croyants qui l’attrapent.
Terre
Première récolte de patates sur le terrain de Piedralma. Demi-réussite. L’important était d’essayer. La fausse-grippe mondialiste, au-delà du crime, aura eu cette minuscule vertu, accélérer l’agenda de disparition des gens qui, comme moi, honnissent la société d’Etat. Et comment sont les patates? Moyennes. Petites même. Certaines, pas plus grosses qu’une cerise. J’exagère: il y en a aussi qui remplissent la paume de la main. Bref, nous avons fait poussé des patates! Evola a fait mieux, il a des poireaux, des coeurs-de-boeuf et du chanvre. Bref, le travail est amorcé. Progrès suit.