“Trials of the van occupanthier” 1

Bref périple à tra­vers les cam­pagnes de l’Aragón, de la Rio­ja et de la Castille. Mon­a­mi est à Puer­to Vene­cia dans la périphérie de Saragosse pour pren­dre son van d’une poli­cière qui loue afin d’arrondir les fins de mois. Huesca, Sabiñani­go, j’ouvre la route. Le soir nous retrou­vons Evola dans son car­ré de légumes de Piedral­ma. Nous allu­mons un feu. La nuit tombe. Nous dînons de poulet au cit­ron sur la table troglodyte – cinq tonnes de pierre au bord du fleuve. La sai­son a été meilleure que l’an dernier. Ni dans la source ni dans la val­lée l’eau ne s’est tarie. Une nuit au frais dans nos lits d’étages, sur le toit des Cal­i­for­nia (Evola dort dans sa cab­ine), puis un soleil mag­nifique se lève. C’est l’heure de pren­dre la route du défilé pour Sos del rey católi­co, bourg per­ché sur un mont jaune. Mon­a­mi a réglé nos walkie-talkie sur son poste. Nous guidons notre con­voi à tra­vers des déserts rem­plis de porcs. Quand les patrouilles de la garde civile gril­lent le réseau, nous gar­dons le silence : je vais devant et je guide. A l’étape, nous sommes dans un camp­ing de semi-rési­dents, près de cette ville économique, triste et pour­rie d’immigrés (pas que la Suisse qui se dis­tingue) : Ejea de los caballeros. Balade sur des trot­toirs qui rap­pel­lent un La Havane de car­ton-pâte et de dés­espoir pour trou­ver à manger. Restau­rante El Sal­vador, seul havre à nour­ri­t­ure, dans une salle à manger peinte d’aquariums a la fres­co où fes­toient des touristes français débar­qués d’un bus à touristes français (un guide fait tin­ter son verre au moyen de la fourchette, il entame un laïus, que peut-il bien dire ?) et des ouvri­ers agri­coles de toutes les couleurs de la terre. Mais le voy­age est com­mencé ; le lende­main nous sommes à Vil­la­cosla­da de Cameros, au pied d’un col à bois, sur un tertre où bra­ment les cerfs et les elfes. Ici tous les paysans coupent le pin de Vin­ue­sa qui est ensuite roulé par tombereaux vers l’Espagne indus­trieuse. En par­lant de roulé… le pro­pos était de repren­dre (onze mois après l’infarctus) une entraîne­ment de bon niveau. Je par­le de vélo. D’abord j’imaginais rejoin­dre Fin­is­tera depuis Agrabuey soit 1200 kilo­mètres de vic­i­nales. Puis j’ai pen­sé me déplac­er à bord du van pour décrire une série de cer­cles dans les régions. Enfin – sans chang­er de motif, les cer­cles – j’ai pro­posé à Mon­a­mi de m’accompagner. Evola nous rejoint, nous par­tons à trois. Mais je ne renonce pas au vélo. Le pre­mier jour, de Ejea à Biel, j’ai roulé 84 kilo­mètres. Quel lieu ce Biel ! Une forter­esse de pierre devant les Pyrénées. L’accès se fait par un pont romain. Des chevaux piaf­fent dans la mousse des berges, con­tre les pentes les mou­tons ressem­blent à des flo­cons de pollen. Pour ce qui est des vivants en revanche, les nôtres, les humains, il y en a peu, très peu. Un can­ton­nier bardé d’orange. Il me guide jusqu’au bar, le Nevi. Où il n’y a qu’un menu, pour lui. La ten­an­cière me rem­plit une assi­ette de « tor­reznos », de la peau de porc brûlée. Je mâche et repars vers le camp­ing où atten­dent Evola et Mon­a­mi. En route, les mêmes équipes munic­i­pales qui m’ont tancé à l’aller me tan­cent : « cette fois c’en est trop, quand tu es passé ce matin la route était déjà coupée, mais nous n’avions pas encore bal­ancé le goudron, là il est chaud… là, si tu pass­es tes pneus vont fon­dre ! ». Bien. Et je m’excuse. J’empoigne le vélo, je m’écarte de la route, je pénètre dans un champ d’ail et porte mon Felt. « Com­ment c’était ? », demande Mon­a­mi. Je le dis ici : « for­mi­da­ble ». Car je suis heureux de faire mon retour. Le cœur accroché à hau­teur d’homme, qui bat son pouls, qui irrigue vers le haut, vers le bas, et l’esprit et les mol­lets. Vin­ue­sa- j’en étais là ! Eh bien on s’en doute : il y a des bois, des cerfs, donc des mon­tagnes. Cousines de Alpes. Et je vais mon­ter. Au réveil, je bouts de l’eau pour le thé de Mon­a­mi, nous parta­geons des œufs coque et tan­dis que je pars faire 18 kilo­mètres d’ascension, eux par­tent marcher sur les sentes. Le lende­main, nous sommes à Sad Hill Ceme­tery. Car je prof­ite du voy­age pour repér­er des curiosités ibériques. Celle-ci est pseu­do-hol­ly­wo­di­enne et ital­i­enne, il s’agit du décor de ciné­ma créé en 1966 par l’armée de Fran­co pour le film Le bon, la brute et le truand de Ser­gio Leone. Cinq milles tombes, cinq milles croix. Dis­posées en cer­cle pour le duel de la scène finale. Fin de l’étape de ce jour, nous sommes à Covar­ru­bias, vil­lage de maisons en cornières, en torchis, en bois rouge, vil­lage « par­mi les plus beaux d’Espagne » dit le pan­neau, semé de fontaines et de puits, vil­lage aux rues pavées, au façades pavoisées (accroché de tra­vers un dra­peau norvégien sur l’hôtel de Ville) qui rap­pelle cette bastide de Gim­brède que j’aimais tant quand j’aimais encore la France. Nous roulons nos vans sur le site pour auto­car­a­vanes car le camp­ing munic­i­pal que j’avais retenu — nous apprend un jar­dinier qui arrose les buis­sons — est au cen­tre d’une querelle poli­tique, il est ouvert mais fer­mé. Le matin, comme je dors sur le toit, dans mon duvet, décolle à grand ren­fort de souf­flets une mont­golfière. Et com­mence pour moi une nou­velle explo­ration à vélo. Quel pays ! Rouge et jaune, ensoleil­lé et brûlant, ami­cal et hau­tain, paysage tracé par les dinosaures (pas si spec­tac­u­laires ces empreintes mémorisées dans le roc), cou­ru par les odeurs des con­gré­ga­tions de porcs, de mou­tons, de vach­es, ter­res mar­quées par autant de mon­u­ments que le chré­tien­té à bien voulu en faire tomber des cieux : ermitages wisig­oths, monastères cis­ter­ciens, croix romanes et catafalques celtes. Que je tra­verse à petite vitesse, pour ne pas énerv­er le cœur, vingt ou trente kilo­mètres par heure. Et vient le soir, et c’est le drame. Evola et Mon­a­mi sont par­tis en avant. Il se plaig­naient. A juste titre. Pourquoi aller jusqu’à l’Atlantique ? D’autant que Mon­a­mi a louer. Que les kilo­mètres loués sont onéreux. J’acquiesce. Mais Evola sug­gère le Nord. Navarre, Pays basque. Mais ce Nord-là est plu­vieux, vert, coû­teux, troué de tun­nels et cou­verts de ponts. Alors quoi ? Eh bien oui. Allons‑y ! Mais — je dis — vous y allez, et je suis. Pas dif­fi­cile puisque je fais du vélo : à la fin de la sor­tie j’ouvre mon cof­fre, je me douche avec l’eau embar­quée et pro­pre et con­tent, je prends le volant, je vous rejoins. Ce que je fais. Et me retrou­ve dans la périphérie crasseuse de Bur­gos, la même périphérie crasseuse de hangars, d’enseignes, de décharges et de fast-foods que sur le reste de la planète cap­i­tal­iste, bien­tôt furieux, aboutis­sant par la nationale sur une aire de camp­ing aux Mon­tagnes russ­es rouil­lées entre une autoroute et la… N‑112. Un lieu de tour­nage pour l’adaptation d’un roman-feluve de Stephen King. Mon­a­mi m’accueille. Je hurle et men­ace de repar­tir. Je ne repars pas. Nous finis­sons la soirée entourés de vingt-sept chats affamés qui nous grimpent le long des jambes alors que je mitonne sur la cui­sine de cam­pagne un cur­ry noix de coco acheté à grand peine par Evola et Mon­a­mi au Corté Inglés de Burgos.