El País publie une liste des comportements qui indiqueraient — pour user de la langue péremptoire des journalistes, “de façon indubitable” — que l’on vieillit. Entre autres, l’intérêt pour les matelas. A vingt ans, j’ai dormi nu et sans draps, pendant un an, sur une planche. Ensuite j’ai dormi pendant huit ans sur une mousse que soutenaient deux palettes de chantier. Après quoi, je suis rentré dans la norme, j’ai fait l’achat d’un premier matelas neuf, puis j’ai affiné. Toujours m’ont fasciné dans les hôtels de standing ces lits qui assemblent deux matelas de sorte qu’il faut d’un entrechat bondir pour s’étaler sur eux. Or, ne sachant où ranger le second matelas de 160 cm que je rapporte du sud, il m’est venu à l’idée de le placer sous le premier qui était disposé sur un sommier à pieds. Qu’il soit dit que c’est la solution.
Dessin
Depuis deux ans, plusieurs fois par semaine, la nuit ou au réveil, je me promets de dessiner. “Ce soir, me dis-je, j’ouvrirai un des ces grands cahiers de feuilles que je traîne de déménagement en déménagement et je dessinerai”. Le soir venu, je fais toutes sortes de choses; écrire, boire, lire, des recherches, visionner un documentaire, et à la fin je me couche. Au lit, je me dis: “demain, je vais dessiner”. J’ai peur. Rien de moins intellectuel chez moi que le dessin. Quelque chose dessine. Qui n’est pas moi. Raison pour laquelle je recule le moment de me pencher sur la feuille. Je crains que ne resurgissent sous mes yeux les mêmes figures que je traçais à dix-huit, à trente, à quarante ans. Ce qui voudrait dire que je suis enfermé de ce côté-là. Que côté dessin, je suis enfermé.
Notre rue 2
Le petit homme bleu va construire ma bibliothèque. Comme j’ai su que la maison était un ancienne grange à poules, je demande:
- Tu crois que ça va tenir? Tous ces livres empilés sur cinq mètres de haut?
- Attention, tu dois tenir compte de la largeur. Le poids sera réparti. Et puis combien ça peut peser?
- Une demi-tonne?
Il réfléchit.
- Des poutres. Tu as des poutres. Une poutre est une poutre. Quel poids peut supporter une poutre? Le poids d’un tank.
Notre rue
Apéritif avec le Petit homme bleu.
-Vin?
-Très peu, je mange des médicaments.
Nous parlons de culture du maïs, d’étoiles et de corruption politique. Soudain un bruit. Il s’interrompt.
- Je crois que c’est une voiture.
Il se lève, se place devant ma fenêtre, puis :
-Viens voir! Elle entre dans notre rue.
Zèbre
Il pleut. J’ai disposé mes casseroles. Lundi encore, j’en parlais au maire. C’est lui qui, lors du chantier, en creusant les fenêtres, à marché sur le toit. Des tuiles se seront brisées. Il me l’accorde, mais remarque: “la gouttière s’est formée entre deux fenêtres”. D’accord. Il sait. Les professionnels savent. Ce sont des professionnels. Mon idée est que la couche de mortier que les propriétaires précédents ont tartiné sur le toit faute d’argent (l’isolant coûte) a craqué sous le poids des corps. “Non, non, me dit le maire, ça doit être les mousses. J’ai nettoyé des mousses. Or, elles retenaient l’eau.”. Le problème est qu’à l’heure du repas j’ai besoin de mes casseroles et alors mon tapis blanc IKEA, percuté par les eaux de ruissellement, se tache. Bientôt, j’aurai une peau de zèbre.
Pompes
Désormais quand j’entends quelqu’un me dire “il faut être tolérant” ou encore “nous sommes coupables, il faut comprendre”, mon cerveau marque un arrêt, l’image de l’interlocuteur se brouille. Je détourne la tête, regarde au sol et je me dis: “Alexandre, fais 50 pompes! Non, 100! Réapproprie-toi ce corps que l’ectoplasme qui te morigène a perdu”.
Soupe
J’ai dans ma cuisine des services de tous les âges. Mil neuf cent quarante pour les plus anciens, puis à peu près autant d’exemples que de décennies. A l’instant, comme je mange un pot-au-feu, je constate que la cuillère prise dans le tiroir ne convient pas. Trop plate. Il me faut remonter jusque dans les années 1970, pour en trouver une qui soit creuse. Preuve que la soupe populaire ne l’est plus.