Temps épouvantable. Brumes froides, grêle, vent. La minute d’après, ciel de nuages et soleil. Puis de la neige. Et à nouveau, venu du fond de la vallée, les brumes. J’observe les cheminées, leurs fumées giflées par les bourrasques. Derrière la maison, plusieurs fois par jour, la rivière gonfle et dégonfle. Sur la place, le boulanger. Il klaxonne. Abrité sous un parapluie dont il se sert comme un bouclier, le couple de paysans revient chez lui avec des baguettes.
Petit homme bleu
Venu boire un vin — toujours le même — le petit homme bleu me dit qu’en Espagne l’éducation des enfants est calamiteuse.
-Longtemps que les parents ont baissé les bras. Pour eux, c’est l’école qui doit faire le travail. Mais l’école est là pour enseigner, pas pour éduquer! Et sais-tu pourquoi ils se désintéressent de leurs enfants? Parce que quatre vingt pour cent sont des enfants non-désirés.
Eberlué, je fais:
-Mais enfin, vous avez le taux de natalité le plus faible d’Europe! De mon balcon, à Malaga, quand je me penche sur la promenade maritime, je regarde les couples qui promènent des landaus et je me demande toujours si je vois les grands-parents ou les parents. Les moyens de contraception fonctionnent!
-Oui, je sais, les femmes ont quarante ans… Mais ça ne change rien à l’affaire: l’immense majorité des enfants est non-désirée.
Dire
Au petit homme bleu, venu boire un vin, qui me dit, “on ne peut pas en parler”, je réponds, “il ne faut pas se taire”. Ceux qui prétendent être en accord avec cette supercherie commencent de l’être moins quand je dis en franchise qu’il n’y a là que supercherie. La faiblesse est de se taire, c’es à dire de joindre sa voix au concert.
Outil
“[] la civilisation des Machines n’a nullement besoin de notre langue, notre langue est précisément la fleur et le fruit d’une civilisation absolument différente de la civilisation des Machines. Il est inutile de déranger Rabelais, Montaigne, Pascal, pour exprimer une certaine conception sommaire de la vie, dont le caractère sommaire fait précisément toute l’efficience.” Georges Bernanos, La France contre les robots.
Ode
Piron, qui toute sa vie chercha à faire valoir ses bons mots auprès du public raffiné, se repentit d’avoir dans un moment d’enthousiasme, l’année de ses vingt ans, écrit son Ode à Priape, poème où il mettait allégrement bas le mythe de la sagesse philosophique :
…Socrate — direz-vous — ce sage
Dont on vante l’esprit divin;
Socrate a vomi peste et rage
Contre le sexe féminin;
Mais pour cela le bon apôtre
N’en a pas moins foutu qu’un autre;
Interprétons mieux ses leçons:
Contre le sexe il persuade;
Mais sans le cul d’Alcibiade
Il n’eût pas tant médit les cons.
Mais voyez ce brave Cynique,
Qu’un bougre a mis au rang des chiens,
Se branler gravement la pique
A la barbe des Athéniens:
Rien ne l’émeut, rien ne l’étonne;
L’éclair brille, Jupiter tonne,
Son vit n’en est pas démonté;
Contre le ciel sa tête altière,
Au bout d’une courte carrière,
Décharge avec tranquillité.
Mais voyez ce brave cynique
Rue
La rue au village, où rarement il y a des voitures, où jamais il n’en passe, n’offre pas le même rapport qu’en ville; elle est extérieure, mais si peu. Elle ouvre sur les foyers. Dès lors, elle appartient aux voisins. Son usage est une affaire sérieuse, impliquant regard et bienveillance. Ainsi, à la moindre anicroche, l’un d’entre nous voit et s’il y a lieu, intervient. Un papier poussé par le vent n’en franchirait pas toute la distance: une main sympathique l’arrêterait.