Univers

Cette lit­téra­ture de femmes un peu niaise pour qui l’u­nivers intime et ménag­er est un univers.

Traverser une rivière

Après les neiges et les pluies, la riv­ière dev­enue tumultueuse en amont d’A­grabuey là où un gué mène à l’église du Saint-Graal, nous ne savions, Evola et moi, com­ment tra­vers­er. Lui, curieux, insis­tait pour faire la vis­ite. Des cail­loux émergeaient des eaux. Ils étaient trop espacés pour per­me­t­tre le saut. Nous en cher­châmes d’autres. Encore trop espacés. Notre sen­ti­ment com­mun était qu’en remon­tant le cours, nous finiri­ons par trou­ver une suite de cail­loux offrant l’é­cart utile. Nous n’en trou­vâmes pas. Nous étions de retour devant le gué.
-On peut marcher dedans, mais revenir au vil­lage les pieds mouil­lés n’est pas très agréable.
Evola sur­pris:
-Il suf­fit de se déchauss­er!
Se déchauss­er? Jamais je n’y aurai pen­sé. Je le fis et tra­ver­sais le pre­mier. L’eau n’é­tait pas pro­fonde mais elle était glacée. Au bout de quelques mètres, cela deve­nait douloureux. Or, il fal­lait avancer à touts petits pas, car le fond d’algues glis­sait comme un beurre.
-Il va fal­loir trou­ver une autre solu­tion pour revenir, déclara Evola en atteignant la berge.
Après la vis­ite de l’église, je la trou­vais en aval: là, un agence­ment de cail­loux et de buttes per­me­t­tait de crois­er au milieu de eaux.
-Tu crois? Protes­ta Evola.
Certes, il y fal­lait de l’ha­bileté car les cail­loux était poin­tus. Une mau­vaise récep­tion et c’é­tait le plon­geon. Je me lançais. J’é­tais passé. Evola con­sid­éra l’ob­sta­cle, changea de posi­tion, arpen­ta la berge. Il repêcha une palette de bois, la jeta devant lui. Elle s’en­gloutit. J’ad­mi­rais ces ter­giver­sa­tions; comme l’af­faire des chaus­sures, elles mon­traient à quel point cha­cun est por­teur de ses pro­pres solutions.

Bain

Cette idée que dans une société de l’as­sis­tance générale (où — donc — tout un cha­cun tra­vaille pour l’E­tat), ce ne sont pas les plus forts qui représen­tent le dan­ger prin­ci­pal de pré­da­tion mais les inter­lopes qui devant tant de faib­lesse partagée se sen­tent pouss­er des ailes — en témoignent les pris­ons démocrates.

Suisse

A tous égards une société choquante.

Couple

Cou­ples incon­grus qui dénon­cent nos préjugés, c’est à dire notre rap­port inqui­et à la norme: deux hommes du même âge, l’un habil­lé avec soin, la démarche élé­gante, l’autre crasseux, velu, accou­tré plutôt que vêtu.

Léman

Chez le voisin qui tient bou­tique de pein­ture, une huile représen­tant un vil­lage du Lavaux une après-midi d’été. Eaux claires, vignes en ter­rass­es, cimes coif­fées et ces vil­lages qui exis­tent encore mais que l’on ne voit plus, cachés comme ils sont der­rière des con­struc­tions hideuses, garages, vil­las, admin­is­tra­tions. Il dresse la toile, en vante les mérites. J’ap­pré­cie. Le prix me con­vient. Ce matin, j’hésite: ma rela­tion avec cette région est ambiguë. D’abord, ce n’est pas la mienne. J’y suis né, j’y ai vécu. Cela ne suf­fit pas. Je ne me con­nais qu’un paysage affec­tif, les Préalpes fri­bour­geois­es entre les Pac­cots et l’Ober­land. Pourquoi? Peut-être parce que, pen­dant les années d’ado­les­cence, il se détachait au loin depuis la ferme famil­iale et qu’à l’oc­ca­sion je véri­fi­ais sa réal­ité en allant jusqu’à lui, pour marcher. Puis il y a autre chose: avoir sous les yeux, au quo­ti­di­en, cette toile, ne cessera de me rap­pel­er que notre pays a été défig­uré, repe­u­plé, trans­for­mé en super­marché, ce qui pro­duit — lire Mau­rice Chap­paz sur le Valais per­met de le mesur­er — une crispa­tion qui a vite fait de tourn­er à l’aigreur.

Femme

A Gala, je dis com­bi­en elle est femelle en plus d’être femme. Ce qui plaît, excite, ensor­celle. Une qual­ité dis­parais­sante. Précieuses les dif­férences entre sexe. Mais le dire ne sauve rien, c’est la nature qui informe les car­ac­tères: le sien est du meilleur aloi, hérité, com­pris, ressen­ti et, sans qu’elle y attache aucune impor­tance, incarné.

Egaux

Tout le monde égal et ceux qui défend­ent ce principe, hors-compétition.

Métiers

Le meilleur méti­er au monde, bal­ayeur. Le pire: politicien.

Vidy

Ce dimanche, au stade de Vidy pour sauter à la corde, entraîn­er roulades et sauts de grenouille. Le temps est doux, d’ex­cel­lents oiseaux chantent, les braseros gril­lent, les bal­lons rebondis­sent. Des cen­taines de familles du tiers-monde pique-niquent après la semaine de tra­vail. A mes yeux, un effon­drement cul­turel. Assor­ti de cette ques­tion lanci­nante, les blancs, c’est à dire les habi­tants de notre pays, ne voient-ils pas ou ne veu­lent-ils pas voir? Cela est fla­grant!  Est fla­grante la trans­for­ma­tion des hommes et femmes de toutes les races en unités économiques pro­jeta­bles sur des aires d’in­ter­ven­tion mer­can­tiles et, au besoin, suppressibles.