Traverser une rivière

Après les neiges et les pluies, la riv­ière dev­enue tumultueuse en amont d’A­grabuey là où un gué mène à l’église du Saint-Graal, nous ne savions, Evola et moi, com­ment tra­vers­er. Lui, curieux, insis­tait pour faire la vis­ite. Des cail­loux émergeaient des eaux. Ils étaient trop espacés pour per­me­t­tre le saut. Nous en cher­châmes d’autres. Encore trop espacés. Notre sen­ti­ment com­mun était qu’en remon­tant le cours, nous finiri­ons par trou­ver une suite de cail­loux offrant l’é­cart utile. Nous n’en trou­vâmes pas. Nous étions de retour devant le gué.
-On peut marcher dedans, mais revenir au vil­lage les pieds mouil­lés n’est pas très agréable.
Evola sur­pris:
-Il suf­fit de se déchauss­er!
Se déchauss­er? Jamais je n’y aurai pen­sé. Je le fis et tra­ver­sais le pre­mier. L’eau n’é­tait pas pro­fonde mais elle était glacée. Au bout de quelques mètres, cela deve­nait douloureux. Or, il fal­lait avancer à touts petits pas, car le fond d’algues glis­sait comme un beurre.
-Il va fal­loir trou­ver une autre solu­tion pour revenir, déclara Evola en atteignant la berge.
Après la vis­ite de l’église, je la trou­vais en aval: là, un agence­ment de cail­loux et de buttes per­me­t­tait de crois­er au milieu de eaux.
-Tu crois? Protes­ta Evola.
Certes, il y fal­lait de l’ha­bileté car les cail­loux était poin­tus. Une mau­vaise récep­tion et c’é­tait le plon­geon. Je me lançais. J’é­tais passé. Evola con­sid­éra l’ob­sta­cle, changea de posi­tion, arpen­ta la berge. Il repêcha une palette de bois, la jeta devant lui. Elle s’en­gloutit. J’ad­mi­rais ces ter­giver­sa­tions; comme l’af­faire des chaus­sures, elles mon­traient à quel point cha­cun est por­teur de ses pro­pres solutions.